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L’ARRÊT
DES TSO
Compte-rendu de la première réunion nationale
Pharma’ddict
Isabelle CELERIER
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Le Flyer N°35 - Février 2009
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Introduction |
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Pour
sa première réunion nationale, l’association
Pharm’addict qui regroupe des pharmaciens « motivés
par les traitements de substitution » avait choisi d’inviter
le Dr William Lowenstein pour évoquer une question
qui revient régulièrement à propos de
ces traitements : s’agit-il de traitements à
vie ?
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Sinon,
comment les arrêter et au bout de combien de temps ?
Car comme l’a souligné en introduction Stéphane
Robinet, le président de l’association, «
dans nos officines, nous voyons certains patients depuis des
années qui ne vont pas mieux Et pour nous, cela pose
une vraie question sur le traitement ».
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Quand
et comment arrêter traitement ? |
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Une
question « plus que légitime » pour William
Lowenstein, le directeur de la clinique Montevideo qui rappelle
que « quand on se penche sur la bibliographie, on s’aperçoit
que tout ce qui existe sur le sujet prend le même ton
savant pour arriver à la conclusion qu’il n’y
a pas de conclusion. En médecine, poursuit-il, il y
a autant de cas qu’il y a d’individus, ce qui
montre bien que la science parfois ne suffit pas ».
D'autant qu'il y a encore, selon lui, « nombre d’incompréhensions
du genre, la méthadone et la buprénorphine ne
sont pas vraiment des médicaments ou la dépendance
n’est pas une vraie pathologie » et que «
le militantisme initial nous a peut-être embarqué
dans des choses qu’il faudrait aujourd’hui commencer
à corriger. » Un militantisme pro-traitements
qui fait notamment qu'« on n’entend pas vraiment
les patients lorsqu’ils désirent arrêter
». Dès lors, quand peut-on réellement
envisager d'arrêter un traitement ?
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«
Comme dans tous les domaines médicaux, répond
William Lowenstein, quand c’est possible ». Autrement
dit, quand le traitement ne sert plus à rien et que
la personne est guérie. Mais c’est là
que les problèmes commencent : « Quand est-on
guéri d’une opiodépendance ? Quand la
personne continue à aller bien après avoir arrêté
ses médicaments ». L'arrêt ne concerne
donc que ces « patients ‘idéaux’,
ceux qui vont bien, qui n’ont pas poursuivi d’autres
consommations sous TSO et qui disent en avoir marre. »
Des patients d'ailleurs souvent poussés par leur entourage
qui ne fait pas de même lorsqu’il s’agit
d’antihypertenseurs. « Pourquoi ne se pose-t-on
pas la même question pour les benzodiazépines
dont la prescription ne doit normalement pas dépasser
les 28 jours ? », interroge le spécialiste. Parce
que « les choses ne sont jamais aussi simples pour les
substances psychoactives ».
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Des
patients comme les autres ? |
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Peut-être
aussi parce que ces patients ne sont toujours pas considérés
comme des patients comme les autres. Comme le souligne pour
sa part, Mme Marie-Josée Augé-Caumon, pharmacien
à Montpellier, « on se sert des mêmes
médicaments pour lutter contre la douleur et contre
la toxicomanie. Pour traiter la douleur, si le patient a
mal, on peut augmenter les doses et faire se chevaucher
les prescriptions. Pour la toxicomanie, on ne peut rien
faire. » Pour elle, il aurait donc fallu une législation
« mieux adaptée à ces patients qui reviennent
toujours une semaine plus tôt, et pour lesquels on
a toujours l’impression que c’est de leur faute
si le traitement ne marche pas ». Mais pour sa consoeur
Elisabeth Kennedy, s'il n'y a sans doute pas de réelle
différence entre la dépendance aux opiacés
ou
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à
d'autres produits, le problème relève plutôt
des individus : « Ce ne sont pas les mêmes personnes,
les mêmes patients. Ils n’ont pas le même
profil, et il y a vraiment certains cas désespérants
dont plus personne (CSST, médecins, hôpitaux,
et même policiers) ne veut et face auxquels nous ne
savons pas quoi faire. Et même pour ceux qui vont bien,
c’est extrêmement dur d’arrêter. »
;Une idée battue en brèche par William Lowenstein
qui rappelle qu'« il y a beaucoup d’autres dépendances
« boulimiques », par exemple aux benzodiazépines,
chez des personnes âgées dépendantes aux
somnifères qui présentent les mêmes troubles
de l’humeur lorsqu’elles arrêtent, mais
qui ne sont pas perçues de la même manière
par les professionnels de santé. »
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Le
patient idéal ! |
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Pour
William Lowenstein, seul le « patient idéal »
peut donc prétendre à l'arrêt du traitement.
Une demande « légitime » qui ne concerne
qu'un cas sur 4 ou 5 et pour lesquels « il faut tenter
l'arrêt. Mais seulement à condition de continuer
à les suivre, compte tenu du risque de rechute qui
atteint 90-95%. » Selon le peu de données disponibles
dans la littérature, seuls 5 à 10% des patients
ne rechuteront pas après avoir arrêté
leur traitement. Un risque très important qu'on ne
peut ignorer lors d'une demande d'arrêt. « Je
propose d’arrêter à ceux qui oublient de
prendre leur traitement et qui n’y pensent pas, explique
ainsi un médecin généraliste de Seine-Saint-Denis.
Je refuse de le faire pour ceux qui l’'oublient’
mais qui y pensent toute la journée, juste pour tenter
de diminuer. J’en ai plusieurs qui ont arrêté.
» Et le généraliste de souligner que «
c’est également très difficile pour ceux
qui présentent des comorbidités psychiatriques
car les rechutes sont beaucoup plus graves. Avec ceux-là,
je n’arrête pas ». Première nécessité
donc en cas d'arrêt : que le suivi, lui, ne s'arrête
surtout pas, ne serait-ce que pour être sûr que
le patient continue à aller bien.
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La
démarche tient ensuite du tâtonnement. «
Après la phase d’induction et de stabilisation,
explique le Dr Lowenstein, on essaie des baisses progressives
et prudentes des posologies, et on voit. Certains restent
pendant plusieurs années à 5 mg de méthadone,
mais l’arrivée de la forme gélule dosée
à 1 mg et les comprimés de buprénorphine
à 6, 4 et 1 mg vont permettre d’affiner les pratiques.
On peut aussi opter pour un sevrage plus rapide en milieu
hospitalier, mais je préfère qu’il soit
progressif. » Restent tous les autres, tous ceux pour
lesquels le traitement ne marche pas ou pas bien. Bref, tous
ceux pour qui cette question – de l’arrêt
– est vaine. Car comme l'explique le directeur de la
clinique Montevideo, « la question se pose très
différemment selon que le traitement ait marché
ou moyennement marché. Que fait-on des patients qui,
après 10 o 15 ans, prennent toujours de la méthadone
ou du Subutex® et ne vont pas bien ? Pour d’autres
pathologies, on peut changer de médicament, mais pour
les TSO, on augmente les doses. »
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Identifier les pathologies associées |
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Or,
pour William Lowenstein, « on a tous mis la tête
dans le guidon et on s’est tous perdus. Quand je relis
les conclusions de la Conférence de consensus de 2004,
je ne suis plus d’accord avec la moitié des choses
». Pour le spécialiste, il est donc grand temps
de trouver un second souffle. Il faut arrêter de leur
demander de traiter ce qu’ils ne peuvent pas traiter.
Pourquoi ne pas avoir le réflexe de passer à
une bi ou trithérapie ? » pour traiter les comorbidités
psychiatriques de ceux qui ne vont toujours pas bien ? Plutôt
que d’« arroser » le patient en augmentant
les doses, mieux vaut donc au contraire, selon lui, les baisser
très progressivement.
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Pour essayer d’identifier les pathologies associées,
de repérer les troubles de l’humeur etc., et
ensuite « de les traiter avec autre chose que les seuls
« somnifères » opiacés. Il faut
arrêter d’augmenter systématiquement les
doses quand le traitement ne marche pas, il faut trouver une
méthodologie » insiste-t-il. Même s'il
n'est pas toujours évident d'arrive r à expliquer
au patient que s’il ne va pas bien, il faut essayer
de baisser les doses…« Je trouve délirant
de voir des patients qui, deux ans après la phase d’induction,
sont à 250 mg de méthadone ou 16 mg de Subutex®.
Il faut diminuer les troubles dopaminergiques. Mais pour cela,
à la clinique, on les hospitalise. »
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Et
les traiter |
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Car
une fois identifiés les troubles de l’humeur,
l’anxiété, etc. encore faut-il pouvoir
les corriger avec des traitements adaptés. Les dopaminergiques
et les neuroleptiques, « beaucoup plus compliqués
qu’un simple régulateur thymique », sur
lesquels travaille sa clinique depuis environ 5 ans. Essentiellement
en raison de la déception rencontrée avec les
antidépresseurs. « 95% de mes patients qui ne
vont pas bien sont sous antidépresseurs qui «
polissent » tous les problèmes et qui sont, pour
certains, très durs à arrêter, explique-t-il.
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Nous
travaillons donc sans antidépresseur ni benzodiazépine
mais avec des régulateurs de l’humeur. »
William Lowenstein s'interroge désormais sur les grilles
à construire, « des grilles de symptômes
avec des traitements adaptés, pour faire une vraie
médecine de l’addiction et l’évaluer.
Arrêtons de travailler sur le pourquoi qui ne permet
pas forcément d’avancer, tentons de soigner les
symptômes. » Et de réclamer du même
coup l’adoption d’une « sémiologie
adéquate » qui perm ettrait déjà
aux médecins généralistes « de
faire beaucoup sans nécessairement recourir à
la psychiatrie ».
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Moins
évident en ville ! |
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Des
généralistes qui, comme le souligne le Dr Pachabezian,
sont encore plus à la peine lorsqu'il s'agit d'arrêter
les traitements. « Bien que soi-disant ‘experts’
en toxicomanie, en médecine générale,
on est un peu perdu. On ne sait pas dans quelles conditions
on met un patient en diminuant les doses ou en les augmentant.
Ce n’est pas la même chose que de pouvoir les
suivre de si près lors d’une hospitalisation.
» Des lits d'hospitalisation effectivement encore trop
rares pour le directeur de la clinique Montevideo. Autre problème
de taille, selon lui : la majorité des CSST qui ferment
leurs portes à 18 heures le vendredi pour les rouvrir
à 10 heures le lundi matin. « L’accessibilité,
tel est le maître mot, insiste-t-il. Plus les TSO sont
rendus accessibles, mieux c’est pour la communauté.
Les structures bas seuil devraient rester ouvertes 7 jours
sur 7, il faut s’organiser, même si pouvoir le
faire est aussi une question de moyens ». Une prise
en charge où comme le rappelle enfin François
Lafargette, les pha rmaciens ont aussi un rôle important
à jouer. «
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C’est
à nous d’être le pilier, la pierre angulaire
qui fait que le traitement avance. Les patients comptent aussi
sur nous ». Des pharmaciens qui restent encore «
trop peu nombreux à être impliqués »
qui s'en sont « pris plein les dents » et qui
n'ont « pas que des amis dans la profession »,
mais qui aspirent aujourd'hui à « se regrouper
pour poser les nouvelles bornes à suivre ». Mais
au-delà des pratiques à affiner et à
codifier, pour William Lowenstein, il importe également
de « sortir du « patient qui sait forcément
», à la limite qui dicte l’ordonnance,
et arrêter de trop l’écouter. Il faut moduler
les choses car en médecine, c’est quand même
rare
que ce soit le patient qui sache tout ». Dernier challenge,
et non des moindres, faire accepter à tous l'idée
que les TSO sont des traitements à part entière
: « Il y a très peu de maladies pour lesquelles,
comme pour la toxicomanie avec les traitements de substitution,
on a réduit la mortalité de 80%. Mais on n’y
fait pas attention, cela ne pèsera jamais dans la balance
! ». Le chemin semble décidément long
à parcourir…
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