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PRECARITE
DES JEUNES ET ECONOMIE PARALLELE
résumé de la conférence
de Michel JOUBERT, sociologue
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Résumé
par E. Meunier de la conférence
prononcée le 7 février 2003 à la Maison de quartier
des Carreaux à Villiers-le-Bel. Article paru dansCorrespondances
n° Printemps 2003. L'auteur montre comment les jeunes engagés
dans l'économie parallèle trouve à se valoriser dans
ce système illusoire dont ils découvre peu à peu
la brutalité. Il s'interroge sur des stratégies de prévention
notamment fondée sur l'écoute et la prévention par
les pairs.
Correspondances, Printemps 2003
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Crise du
travail social et économie parallèle |
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Dès
les années 90, en Seine-Saint-Denis, la question du trafic s'est
posée avec acuité au sein de clubs de prévention
qui constataient que cette donnée brouillait le travail habituel
des éducateurs. Leurs actions de terrain, centrée sur la
sociabilité et la reconstruction des liens entre jeunes et institutions,
se heurtaient à une économie de trafic (cannabis principalement,
mais aussi d'une multitude de biens recelés). Au long de la décennie,
l'efficacité de trafiquants pour recruter des jeunes n'a cessé
de croître. Ce constat a motivé des enquêtes de terrain
mobilisant des sociologues, des économistes et des ethnologues..
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Dans
un contexte où la précarité et l'échec scolaire
altèrent l'estime de soi, des jeunes vont trouver dans l'économie
parallèle la possibilité de retrouver un statut revalorisant
en accédant à des biens de consommation, en trouvant une
place reconnue par les pairs et en trouvant une autonomie par rapport
à la famille.
Ce
qui sera mis au jour par les enquêtes, c'est à quel point
cette économie s'insère au cœur des relations de
sociabilité, c'est-à-dire dans l'un des espaces où
le jeune se construit.
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Le trafic
: une économie et une illusion qui valorisent les jeunes |
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Le
secret de cette économie, c'est d'offrir à un individu,
éventuellement dépourvu en capital financier et/ou culturel,
la possibilité de valoriser un capital relationnel : son capital,
ce sont ses copains, ses relations, ceux à qui il pourra revendre
du cannabis ou d'autres produits de trafic. C'est en somme l'économie
Tupperware avec pour horizon la Chaîne du bonheur. Pour gagner de
l'argent, il suffit de réunir ses amis comme les ménagères
qui dealent des Tupperware. On entrevoit rapidement la fortune, car, si
l'on y songe, il suffit d'avoir trois amis, qui ont eux-mêmes trois
amis, qui ont trois amis, etc… pour créer un marché
quasi-illimité avec un sentiment de sûreté (puisque
l'on reste entre amis).
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Il
s'agit bien évidemment d'un mirage, qui induira une sortie par
le bas. Mais les trafiquants mettent à profit ce besoin de reconnaissance
et de restauration de l'estime de soi pour encourager des jeunes à
créer leur micro-entreprise de trafic.
Dans l'économie de micro-trafics on se fait des relations pour
pouvoir échanger, on échange pour pouvoir consommer, on
consomme ensemble pour se faire de nouvelles relations… Chacun
fait fructifier son capital relationnel sans réellement accumuler
de capital, mais en engrangeant des bénéfices secondaires
psychologiquement substantiels.
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De la lune
de miel
à la découverte d'une dépendance à un mode de
vie destructeur |
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Cette
structuration de l'économie à partir du lien de sociabilité
explique son ancrage, sa pérennisation dans le temps et l'espace
(les petits commerces, voir l'économie d'une localité, finissent
par dépendre au moins partiellement de ces revenus) et les difficultés
que rencontrent les forces de répression quand elles veulent la
déraciner.
Après la lune de miel, chacun fait individuellement la découverte
de la violence sous-tendue par ce système. L'un découvre
sa dépendance vis-à-vis des dealers auxquels il a emprunté
de la résine de cannabis et se voit contraint, pour rembourser,
à commettre des actes plus dangereux, plus exposés au risque
de la répression.
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Un
autre mesure que son engagement dans l'économie parallèle
l'a conduit à rompre avec tous les tiers qui auraient pu l'aider
à rechercher des solutions alternatives : famille, école,
acteurs de l'insertion. Un autre découvrira sa dépendance
aux produits qu'il dealait.
Chacun
d'eux constate un appauvrissement relatif, car vers 25-30 ans, les jeunes
qui ont suivi un parcours d'insertion ont une meilleure situation sociale.
Chacun d'eux découvre un système très hiérarchisé,
qui ne profite qu'à une minorité qui entretient une logique
clientéliste et l'illusion que la proximité avec les "
gros " est une promesse d'avenir.
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Inefficacité
de la répression, abandon de la prévention |
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Cet
appauvrissement, cette dépendance et l'exposition croissante à
la répression ont pour effet de solidariser les acteurs du système,
fussent-ils, à présent, conscients d'être dupés
par ce système. Ce système c'est toute leur vie sociale,
c'est leur moyen de subsistance, c'est leur protection. D'où l'inefficacité
relative de la répression. L'incohérence caractérise
les politiques de prévention : un exemple est le décret
de 1997 de Kouchner sur les Centre de soins spécialisés
aux toxicomanes (CSST). Ce décret retire aux CSST leur compétence
en matière de prévention afin qu'ils concentrent leurs moyens
sur la prise en charge des usagers de drogues.
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Le
décret prévoit que la prévention des toxicomanies
sera assumée par d'autres acteurs… que le décret oublie
de nommer et qui reste à ce jour inconnu ! Le résultat,
c'est qu'il n'y a plus rien en amont de la prise en charge sanitaire,
qu'il n'y a plus de politique de prévention des toxicomanies réellement
efficace sur le terrain. S'agissant des jeunes engagés dans l'économie
parallèle, faut-il attendre pour agir qu'il plongent dans les toxicomanies
lourdes où qu'ils atteignent l'âge requis pour bénéficier
du RMI et des dispositifs d'insertion pour les plus précarisés
? Quelle prévention primaire et secondaire mettre en œuvre
?
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La prévention
par les pairs : introduire des paramètres de protection
là où prospère l'économie parallèle |
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S'agissant
de la prévention primaire (une fois que l'on a admit que les stratégies
dissuasives sont sans impacts), la marge de manœuvre se situe dans
le champ de la prévention par les pairs. Il ne faut pas en surévaluer
l'impact, mais cette stratégie a le mérite d'agir dans l'espace
de sociabilité où le trafic prospère. Elle tente
d'introduire des paramètres de protection en utilisant les mêmes
canaux que ceux de l'économie parallèle, à savoir
les relations entre pairs.
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Les
politiques de réductions des risques, notamment l'échange
de seringues, ont permis, avec succès, la diffusion de messages
de protection vis-à-vis des risques infectieux et sur l'accès
aux soins parmi les usagers de drogues. Des stratégies de prévention
pourront être élaborées sur ce modèle, dans
la mesure où les jeunes trouveraient par ces actions à se
valoriser et à valoriser leurs compétences relationnelles.
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Entendre
la souffrance de ces jeunes |
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S'agissant
de la prévention secondaire, la fragilité d'un jeune est
bien souvent sa chance. Bien peu sont dupes du système de l'économie
parallèle : ils en connaissent la brutalité et le caractère
illusoire.
Il
y a presque toujours dans les récits de parcours de ruptures
racontés par ces jeunes, la relation de ce moment où ils
ont recherché en vain une écoute, une personne avec qui
nouer une relation de confiance. Non sans candeur, ces jeunes disent
qu'ils auraient aimé être éducateur, animateur,
assistant social, bref, qu'ils auraient aimés aider les autres
et les écouter. Ils sous-entendent : eux, ils savent entendre
cette souffrance.
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La
question posée est celle d'une écoute tolérante,
qui ne s'accompagnerait pas de l'injonction immédiate à
changer de vie, mais qui les laisserait élaborer leur désir
de trouver des alternatives à ce mode de vie qui les tient. Ecoute
qui devrait être suivie de propositions adaptées en terme
de parcours d'insertion. Jouer le jeu de l'insertion, pour nombre de ces
jeunes, c'est s'exposer au risque de renouer avec les logiques d'échecs
et d'abandons qu'ils ont déjà connues à l'école
et qui réactivent parfois des angoisses plus anciennes. Ce travail
d'écoute est l'affaire de tous les acteurs en lien avec la jeunesse,
des acteurs de proximités, et non l'affaire des seuls "spécialistes".
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