MÉTHADONE,
AU-DELA DE L'EFFET AGONISTE OPIACÉ :
BÉNÉFICE SUR LES TROUBLES DE L'HUMEUR
Dr Peter L. TENORE, New York, États-Unis
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Le Flyer N°34, Déc. 2008
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Introduction |
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Un
article récent de la revue AT Forum de printemps 2007,
cite quelques extraits d’un article à paraître
prochainement, écrit par le Dr Peter L. Tenore, un
médecin exerçant au Albert Einstein College
of Medicine, Division of Substance Abuse, Department of Psychiatry,
dans le quartier du Bronx à New York. Le Comité
de Rédaction analyse ici le contenu de cet article.
L’éditeur de cette revue, le Dr LEAVITT rappelle
au préalable quelques données épidémiologiques
concernant la fréquence de comorbidités psychiatriques
; globalement, 3 sur 4 des patients traités par la
méthadone ont une pathologie psychiatrique au cours
de leur vie, dont plus de la moitié sont des troubles
de l’humeur, comme la dépression ou l’anxiété
au moment où ils accèdent au traitement par
la méthadone.
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Cette même revue avait déjà publié
un article en 2004, montrant l’impact d’une posologie
adaptée de méthadone sur les troubles de l’humeur.
Par ailleurs, les propriétés pharmacologiques
de la méthadone, comme antidépresseur et anxiolytique
ont été mises en évidence, ainsi que
l’intérêt que cela représente pour
beaucoup de patients. Le Dr Tenore a donc fait une recherche
de toutes les études disponibles qui démontrent
l’intérêt de la méthadone, dans
sa capacité à diminuer les troubles de l’humeur.
Il publiera un article dans une revue de qualité en
addictologie, dont le titre est « Psychotherapeutic
Benefits of Opioid Agonist Therapy ». Des extraits de
cet article sont en exclusivité commentés sur
AT Forum.
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TRAITEMENT
SUPPLETIF EN ENDORPHINE ! |
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Un peu d'histoire |
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Tenore a constaté
que les opiacés ont été largement utilisés
pour différentes pathologies depuis 3400 ans avant
J.C. En plus de leurs propriétés antalgiques,
les mixtures à base d’opiacés ont été
aussi utilisées pour traiter plusieurs pathologies
psychiatriques. Cependant, avec le développement
de nouveaux médicaments anti-dépresseurs et
anxiolytiques, au début des années 50, les
traitements opiacés ont été abandonnés
dans ce domaine.
Malgré
tout, la recherche sur les propriétés anxiolytiques
et antidépresseurs des opiacés a continué.
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L’histoire commence avec les endorphines, ligands naturels
qui se fixent sur les récepteurs aux opioïdes
et qui ont été décrits comme notre morphine
endogène. Dans un cerveau déprimé, une
relative déficience d’endorphines influence indirectement
la baisse d’un autre ligand, la dopamine. La dopamine
est un neuro-transmetteur impliqué dans le circuit
de la récompense. Parmi d’autres conséquences,
la baisse de la dopamine a pour conséquence une perte
de la sensation de plaisir, de joie de vivre, autrement dit
une anhédonie, qui est une des caractéristiques
de la dépression.
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Lien
avec la dépression |
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Dans
ce qui était le classique traitement opiacé
de la dépression, un apport en opiacé comblait
le déficit en endorphine, avec comme conséquence
une libération de dopamine, une restauration de l’équilibre
neurochimique et une amélioration de la dépression.
Tenore a retrouvé des preuves cliniques de cet effet
bénéfique des opiacés. De façon
surprenante, avec des symptômes de dépression
plus vite améliorés qu’avec des molécules
antidépresseurs comme la fluoxétine ou l’amitriptyline.
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Plusieurs
études cliniques étudiant la buprénorphine
chez des patients dépressifs qui étaient ou
non dépendants ont mis en avant un puissant effet sur
la dépression. Et un effet équivalent, voire
plus important, a été trouvé pour la
méthadone. La méthadone a un effet antidépresseur
qui lui est propre, et de façon significative, les
effets sur l’humeur étaient sans lien avec la
baisse des consommations illicites au cours de traitements
de substitution.
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Avec l'anxiété |
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Enfin,
des recherches passées ont montré que des faibles
doses de méthadone pourraient entraîner la baisse
d’un taux trop élevé de cortisol, et par
conséquent améliorer les symptômes d’anxiété
et de dépression. La méthadone jouerait ici
un rôle de substitut aux endorphines naturelles qui
régulent la réponse
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au
stress, en limitant la libération de cortisol. En tenant
compte de ce qu’il a trouvé dans ces recherches,
Tenore conclut que dans le traitement de l’anxiété
et de la dépression, la méthadone, la buprénorphine,
et les autres opiacés pourraient être vus au
final comme des traitements supplétifs en endorphine.
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La
méthadone stimule la sérotonine, stabilisatrice
de l’humeur |
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Au delà
de cette supplémentation endorphinique, d’autres
travaux ont démontré que les médicaments
opiacés interagissaient avec d’autres systèmes
impliqués dans le contrôle de l’humeur.
Parmi eux, les systèmes sérotoninergiques,
catécholaminergiques (épinéphrine/norépinéphrine),
et le système NMDA, tous impliqués dans les
troubles de l’humeur et cibles de médicament
psychotropes divers.
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Par
exemple, les antidépresseurs tricycliques (ex : amitriptyline
ou imiprimanine) soigne la dépression (et l’anxiété)
en augmentant le taux intra-cérébral de catécholamines,
de dopamine et de sérotonine. De la même façon,
il a été montré également que
la méthadone activait les mêmes sites d’actions
des tricycliques et augmentait les taux de catécholamines
si l’on en croit la revue de la littérature de
Tenore.
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Propriétés
comparables aux IRS |
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Il a également
été démontré qu’elle avait
des propriétés comparables aux IRS (Inhibiteur
de la Recapture de Sérotonine), avec une augmentation
des taux de sérotonine. La sérotonine est
essentielle pour la régulation de l’humeur,
de la colère, de l’agressivité, du sommeil
et de l’appétit.
Tenore note que
la méthadone est parfois associée avec certains
IRS comme la fluoxétine, la paroxétine et
la sertraline.
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Il
y a une interaction pharmacocinétique dont la conséquence
est l’augmentation (jusqu’à 26%) des taux
sanguins de méthadone. Cela pourrait être utile
pour améliorer la bio-disponibilité de la méthadone,
tout en augmentant son effet psychotrope sérotoninergique.
Cependant si la méthadone est co-administrée
avec des médicaments qui par ailleurs ont un fort potentiel
sérotoninergique (ex : IMAO), un taux trop élevé
et toxique de sérotonine pourrait en résulter.
L’association doit donc être évitée.
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Limitation
du volume neuro-excitatoire |
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De
très nombreuses recherches ont démontré
que la méthadone, comme la buprénorphine, s’opposent
aux effets du système glutaminergique (récepteurs
NMDA) qui entraîne une baisse des effets de la sérotonine.
Les récepteurs NMDA (N-Methyl d-Aspartate) situés
dans le cerveau aident à réguler la perception
de la douleur etde l’humeur, parmi d’autres fonctions.
Quand les récepteurs NMDA sont activés par le
glutamate, la production de sérotonine est ralentie
et la sérotonine présente éliminée
plus rapidement. Comme indiqué précédemment,
la baisse anormale des taux de sérotonine influence
fortement l’expression des symptômes de dépression
et d’anxiété.
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Par ailleurs, une sur-excitation glutaminergique augmente
le stress neuronal. Cette action dangereuse contribue à
l’anxiété, aux crises, et aux troubles
compulsifs et obsessionnels. Beaucoup d’opiacés
réduisent à la fois les effets du glutamate
et également agissent comme des antagonistes des récepteurs
NMDA, comme les recherches le montrent. A cet égard,
la méthadone s e montre jusqu’à 16 fois
plus efficace que la morphine dans le blocage des récepteurs
NMDA, exerçant alors une effet antidépresseur
et anxiolytique significatif. La buprénorphine dans
ce blocage, est équivalente à la morphine.
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Une
posologie de stabilisation plus élevée est nécessaire |
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En
examinant la littérature sur les DDs (Doubles Diagnostics),
Tenore a fait le constat que le mythe habituel du patient,
avec une comorbidité psychiatrique, résistant
au traitement, n’était pas fondé. En réalité,
les patients en TSO avec une pathologie psychiatrique répondent
bien au traitement comme le montrent les études, avec
des traitements plus longs et une diminution des
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consommations
excessives de drogues. Cependant Tenore met en évidence
que dans ces cas de Doubles Diagnostics, dans de nombreuses
études, les patients requièrent une posologie
de stabilisation plus élevée. Par exemple, sur
une durée de 3 ans, Maremmani et ses collègues
ont comparé les posologies de patients avec et sans
Doubles Diagnostics (voir schéma ci-dessous).
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Après la
période d’induction, les patients avec un DD
nécessitent une posologie 40 % supérieure,
une différence significative qui perdure sur les
3 années de traitement, même s’il est
possible de baisser progressivement la posologie sur cette
durée. De surcroît, il faut 4 mois de plus
pour atteindre la posologie optimale de stabilisation (7
vs 3), avant de pouvoir envisager une baisse de la posologie.
Cette posologie plus élevée pour des patients
avec un DD et qui est bien documentée, reflète
probablement la nécessité d’une besoin
plus grand en méthadone, pour agir efficacement sur
plusieurs systèmes neuro-biologiques.
Les patients avec
un DD et recevant une posologie appropriée de méthadone
réduisent leurs scores de symptômes psychiatriques
au niveau de patients uniquement dépendants aux opiacés.
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Il
en est de même pour les résultats en terme de
score sur les comportements addictifs et les durées
de rétention en traitement. Les différentes
propriétés de la méthadone expliquent
pourquoi beaucoup de patients préfèrent ne pas
complètement arrêter le traitement. Tenore décrit
le cas d’un patient stabilisé à 60 mg/jour
sans troubles anxieux qui a baissé progressivement
sa posologie jusqu’à 12,5 mg/jour. A ce niveau,
un trouble anxieux sévère a émergé.
Quand la posologie est revenue à 25 mg/jour, la symptomatologie
anxieuse a disparue dans les 2 jours. La méthadone
a des effets bénéfiques même aux plus
faibles posologies. Les patients avec une pathologie psychiatrique
sous-jacente pourraient difficilement arrêter la méthadone
(ou la buprénorphine) sauf à envisager des traitements
psychotropes en relais ou un suivi psychosocial intense.
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Diminuer
la souffrance des individus |
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En
résumé pour AT Forum, Tenore observe : «
Les nombreux travaux que j’ai examinés démontrent
que les patients recevant un traitement par la méthadone
bénéficient en fait de l’effet de plusieurs
médicaments psychotropes avec une seule molécule
– la méthadone, à condition qu’elle
soit prescrite à un dosage adéquat. Dans les
faits et dans notre expérience, certains patients qui
demandent de façon répétée une
posologie plus élevée pourraient être
porteur d’une comorbidité psychiatrique non détectée
par le staff médical ». « Il est clair
que la méthadone, comme la buprénorphine et
d’autres opiacés, agissent sur les troubles anxieux
et dépressifs, par la régulation de la sérotonine,
la dopamine et les catécholamines », continue-t-il.
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En
même temps, ces opiacés aident au contrôle
de la réponse au stress, et bloque les effets négatifs
sur l’humeur induits par le glutamate sur les récepteurs
et le cortisol ». Il conclut de la sorte : « Les
patients avec un Double Diagnostic devrait être exposés
aux différents effets bénéfiques de la
méthadone, et ne devraient pas être effrayés
par des augmentations de la posologie ou des durées
de traitement prolongées. L’adaptation de la
posologie à la hausse pour ces mêmes patients
devrait être ‘agressive’ sans être
imprudente, de manière à éviter des sorties
de traitement précoces, de soulager les symptômes
psychiatriques, de faire baisser les consommations illicites
et de limiter la souffrance des individus ».
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Sources |
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Le texte original
en anglais, dont est inspiré cet article est disponible
sur le site AT Forum à l’adresse suivant :
http://www.atforum.com/newsletters/2007spring.php
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Il
a précède l’article de Tenore paru récemment
sous le titre : “Psychotherapeutic Benefits of Opioid
Agonist Therapy” dans J. Addict. Dis. 2008 ;27(3):49-65
L’article publié intègre les éléments
bibliographiques soutenant les propos du Dr Tenore
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