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ANALYSE
BIBLIOGRAPHIQUE : QUALITÉ DE VIE CHEZ LES USAGERS D'HÉROINE
EN TRAITEMENT DE MAINTENANCE A LA BUPRÉNORPHINE VERSUS
MÉTHADONE
Alexander M. Ponizovsky, M.D., Ph.D. (Mental Health Services,
Ministry of Health, Jerusalem, Israel) ; Alexander Grinshpoon
M.D., Ph.D.(Tirat Carmel Mental Health Center, Ministry of
Health, Tirat Carmel, Israel)
The American Journal of Drug and Alcohol Abuse, Volume 33,
5 September 2007, pages 631-642
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Le Flyer N°34, Décembre 2008
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Introduction |
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En
préambule de ce travail, les auteurs rappellent que
si l’addiction à l’héroïne
est une maladie aux rechutes chroniques qui est difficile
à soigner, la stabilisation et la réduction
des risques permet d’accroître significativement
l’espérance de vie et la qualité de vie
des patients (Verrando et al., 2005). Qu’il s’agisse
de méthadone (White, Lopatko, 2007) ou de buprénorphine
(Lintzeris et al., 2004 ; Barnett, Rodgers, Bloch, 2001),
les traitements de substitution opiacée permettent,
en effet, de réduire efficacement, voire d’éliminer,
le recours à l’injection d’héroïne,
et d’offrir également aux patients une vie sociale
plus stable (Gonzalez et al., 2004 ; Schottenfeld et al.,
1998). Selon différentes études (Schottenfeld
et al., 1998 ; Wlash et al., 1995 ; Mattick et al., 2004),
la buprénorphine présenterait plusieurs avantages
par rapport à la méthadone : une dépendance
moins importante, une moindre tolérance, des symptômes
de manque moins sévères, des risques moins importants
d’overdose fatale, et enfin une plus longue durée
d’action.
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La dépendance
aux opiacés influence la qualité et l’espérance
de vie des usagers de drogue, et leurs améliorations
peuvent être corrélées avec l’efficacité
du traitement. Ainsi, bien que la qualité de vie
soit gravement détériorée par la dépendance
aux opiacés, peu d’études ont été
conduites pour comparer les bénéfices des
différents traitements, dans ce domaine (Scientific
World Journal, 2005; Amato et al., 2005 ; Giacomuzzi et
al., 2006). Comparant les effets d’un traitement de
maintenance à la méthadone à ceux d’un
traitement à la buprénorphine sublinguale
chez 53 patients, dont 25 étaient revus 3 ans plus
tard, l’étude de Giacomuzzi et al. (Scientific
World Journal, 2005) a montré une amélioration
de la qualité de vie, quel que soit le médicament,
et conclu ainsi à une efficacité similaire.
Mais aucune étude
ne s’est précédemment intéressée
aux bénéfices sur la qualité de vie
de ces deux molécules (méthadone et buprénorphine)
dès le début des traitements.
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Objectif |
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L’objectif
des auteurs de cette étude était donc de comparer
la qualité de vie des usagers d’héroïne
en traitement de maintenance à la méthadone
orale ou à la buprénorphine sublinguale pendant
4 et 8 mois. Cette étude fait partie d’un projet
plus important destiné à évaluer, les
résultats (à court et à long terme) de
programmes de maintenance ambulatoire et
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d’un
sevrage à la buprénorphine, chez des patients
dépendants à l’héroïne en
Israël. Après avoir passé en revue différentes
études, elle était basée sur 2 hypothèses
:
1) Les 2 traitements présentent les mêmes bénéfices
en termes de qualité de vie ;
2) Ces bénéfices se manifestent plus rapidement
chez les patients sous méthadone que chez ceux prenant
de la buprénorphine.
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Recrutement
et méthodes |
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Recrutés
dans les centres ambulatoires de traitement des addictions,
les patients devaient, pour être acceptés dans
l’étude, être âgés de plus
de 18 ans, être dépendants aux opiacés,
être adressés au centre après une prise
en charge psychosociale ayant montré une légère
amélioration, et être déterminés
à traiter leur dépendance. Les critères
d’exclusion étaient les comorbidités VIH,
VHC et les cirrhoses du foie ; les psychoses avérées,
les dépressions sévères, un fort risque
de suicide, les syndromes cérébraux organiques
; la grossesse et l’allaitement ; ou enfin l’usage
concomitant d’autres drogues psychotropes. Le traitement
de maintenance de 8 mois était proposé en ambulatoire
à 15 centres spécialisés dans le traitement
des addictions.
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En
plus du sevrage médical et de la thérapie de
maintenance, des interventions psychosociales (incluant thérapies
cognitives et comportementales, thérapies de groupe
et familiale) étaient proposées si nécessaires.
Le traitement sous buprénorphine commençait
à la posologie de 4 mg/jour, et était, par la
suite, adapté pour atteindre une posologie moyenne
de maintenance de 8 mg/jour (de 2 à 16 mg, la plupart
entre 6 et 12 mg/jour). La délivrance était
quotidienne au centre, à l’exception des week-ends
où la buprénorphine était donnée
pour 2 jours aux patients. Le traitement méthadone
sous forme sirop, commençait, entre 10 et 40 mg/jour
puis augmentait de 10 mg par jour jusqu’à la
posologie de maintenance, située entre 60 et 120 mg/jour.
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Caractéristiques
de suivi |
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Les
données collectées entre septembre 2002 et décembre
2004 concernaient 304 héroïnomanes recevant un
traitement soit par buprénorphine (259) soit par méthadone
(45). L’échantillon était représentait
par 89% d’hommes et 57,6% d’Arabes israéliens,
âgés en moyenne de 39,3 ans (± 8,3). 63%
étaient mariés et 13,5% avaient un emploi, avec
une durée moyenne de scolarité de 9,4 ans (±
2,8).
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La
plupart des patients avaient commencé à consommer
de l’héroïne vers 25 ans, et étaient
dépendants depuis 10,2 ans (± 5,6). Près
de 40% avaient, par ailleurs, multiplié les activités
criminelles et les passages en prison avant de débuter
le traitement. Les patients sous buprénorphine étaient
plus jeunes et plus souvent Arabes israéliens que ceux
sous méthadone.
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Qualité
de vie |
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L’entretien
médical était mené à l’inclusion,
puis à 1, 4 et 8 mois de suivi. Tous les patients devaient
remplir à cette occasion un autoquestionnaire évaluant
la santé physique, les sensations subjectives, les
loisirs, les relations sociales et les activités en
général :
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le
« Quality of Life Enjoyment and Satisfaction Questionnaire
» (Endicott et al., 1993), Les réponses étaient
échelonnées de 1 à 5 (de « pas
du tout ou jamais » à « souvent ou tout
le temps »), les scores les plus hauts correspondant
aux meilleurs indices de satisfaction en matière de
qualité de vie.
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RESUSTATS |
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Les
résultats ci-dessous concernent 304 héroïnomanes
commençant un traitement soit par buprénorphine
(n=259) soit par méthadone (n=45). Les données
disponibles (échelles de qualité de vie) concernent
180 d’entre eux qui ont poursuivi leur traitement pendant
4 mois (cohorte 1) et 129 pendant 8 mois (cohorte 2) Les données
relatives à la qualité de vie étaient
disponibles à 1, 4 et 8 mois de suivi, sans différence
significative entre ceux qui avaient abandonné ou poursuivi
le traitement.
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Les
premiers étaient cependant plus souvent des femmes,
plus jeunes, et Juifs israéliens. Des améliorations
statistiquement significatives en matière de qualité
de vie comme dans tous domaines spécifiques de la vie
ont été enregistrées chez les participants
ayant poursuivi un traitement, mais cette amélioration
était ressentie dès le premier mois de suivi
chez les patients sous méthadone.
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À
4 mois (cohorte 1) |
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Un
mois après l’inclusion dans l’étude,
la qualité de vie ne s’était, dans l’ensemble,
pas améliorée chez les patients sous buprénorphine.
Après un mois de traitement, ces derniers n’étaient,
en effet, satisfaits que dans un seul domaine – les
sensations subjectives –, alors que leurs indices de
satisfaction concernant les loisirs et les activités
générales avaient, eux, significativement diminués.
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A
4 mois, les indices de qualité de vie étaient
cependant tous améliorés. A contrario, dès
le premier mois, la qualité de vie des patients sous
méthadone était significativement améliorée
dans pratiquement tous les domaines de la vie. Des scores
de satisfaction qui restaient inchangés à 4
mois de suivi, à l’exception des activités
générales qui s’étaient encore
légèrement améliorées.
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À
8 mois (cohorte 2) |
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Des
évolutions similaires ont été constatées
chez les patients ayant poursuivi un traitement de maintenance
à la méthadone ou à la buprénorphine
pendant 8 mois. Comme dans la cohorte 1 (à 4 mois),
la seule amélioration
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enregistrée
au bout d’un mois chez les patients sous buprénorphine
concernait les sensations subjectives, alors que tous les
scores s’étaient déjà améliorés
chez les patients sous méthadone. Des scores qui restaient,
après 8 mois de suivi, aussi élevés.
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DISCUSSION |
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Conformément
à la première hypothèse des auteurs,
les 2 médicaments présentent donc des effets
bénéfiques comparables en termes de qualité
de vie. Cependant, chez les patients sous méthadone,
cette amélioration s’est fait sentir dès
le premier mois de traitement pour rester stable par la suite,
alors que chez les patients sous buprénorphine, elle
est intervenue moins rapidement (pour finalement atteindre
le même niveau en fin du traitement). Ceci confirme
la seconde hypothèse. Selon les auteurs, plusieurs
facteurs peuvent expliquer cette différence en terme
de délai d’action tels que des profils pharmacologiques
distincts, dans l’efficacité clinique des 2 traitements,
ou dans les caractéristiques des sujets. Des effets
euphoriques et sédatifs plus importants pourraient
notamment expliquer les bénéfices plus rapides
de la méthadone. Entraînant une sensation générale
d’euphorie et de bien-être, et évacuant
tout sentiment de douleur et
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d’anxiété physique ou émotionnelle
(Bruera, Sweeney, 2002), la méthadone agit , en effet,
assez rapidement (1 à 2 heures). Des effets qualifiés
d’« euphorie subliminale », qui constituent
une sorte de protection pharmacologique contre les inévitables
désagréments du retour à la réalité
(Ausubel, 1983). Alors que la méthadone entraîne
la même euphorie que les opiacés (Jasinski, Preston,
1986), la buprénorphine ne semble, quant à elle,
pas assez puissante pour induire la même euphorie et
sédation que l’héroïne et les autres
opiacés (Lintzeris et al., 2004 ; Gonzalez et al.,
2004 ). Le stress est l’un des principaux facteurs psychologiques
affectant la qualité de vie et le bienêtre mental
; composante essentielle de cette même qualité
de vie (Ritsner et al., 2000 ; Zissi et al., 1998). La rapide
diminution du stress et l’amélioration du bien-être
provoquées par la méthadone pourraient ainsi
expliquer son impact à court terme sur la qualité
de vie.
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CONCLUSION |
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Selon
les auteurs, ces résultats confirment les conclusions
de Giacomuzzi et al. (Scientific World Journal, 2005) sur
l’efficacité similaire de la méthadone
et de la buprénorphine en termes de qualité
de vie. Une égalité d’action qui amène
les auteurs à rejoindre les recommandations du «
National Institute for Heatlh and Clinical Excellence’s
Appraisal Consultation Document » (consultable sur http://
www.nice.org.uk), qui estime que « ces deux options
de traitement doivent être disponibles dans la pratique
clinique afin que des décisions appropriées
puissent être normalement prises au cas par cas ».
Toujours selon les auteurs, et dans le contexte israélien,
il y a une autre implication essentielle de cette étude,
en particulier pour les décideurs politiques : la méthadone
étant moins chère, elle devrait être prescrite
comme traitement de premier choix.
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Si
l’impossibilité de déceler des biais de
sélection en fonction des traitements constitue la
principale limite de l’enquête, l’impact
des cliniciens sur les r éponses aux auto-questionnaires
semble, en revanche, pratiquement exclu. Quant à celui
des interventions psychosociales, il apparaît négligeable
car identique dans les 2 groupes. Les auteurs concluent que
la méthadone comme la buprénorphine ont des
effets bénéfiques sur la qualité de vie
et dans tous les domaines spécifiques de la vie des
patients héroïnodépendants. La seule différence
importante étant que la première agit plus rapidement.
D’autres études sont désormais nécessaires
pour identifier les facteurs liés à ces bénéfices
et à leur apparition dans le temps.
Isabelle CELERIER pour la rédaction du Flyer
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