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ADDICTION : LA PART DU GENETIQUE
Dr Gilles NESTER, CSST Rivage, CH de Gonesse
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La SAF, Société d'addictologie francophone et le Courrier des addictions,
organisaient en juin 2002, la 2ème journée "Ethique et Addictions" où furent présentés les enjeux actuels de la génétique des addictions et les avancées dans la connaissance des marqueurs biologiques des drogues de dépendance. L'implication de la recherche en addictologie est de plus en plus large, de multiples projets et publications financés par des budgets publics ou privés sont présentés dans le monde entier.
Le
Flyer n°15, Correspondances, automne 2002.
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Recherche
et application thérapeutique |
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Parmi
ces travaux, on trouve des approches thérapeutiques
innovantes et d'autres purement hypothétiques ou
n'ayant pas encore d'application directe chez l'homme.
Toutes
contribuent à une meilleure connaissance de ces phénomènes.
La
cocaïne, une drogue pour laquelle on ne parvient pas
à concevoir un produit de substitution efficace,
suscite l'imagination débridée des chercheurs.
Des
chercheurs étudient la production d'un anticorps
qui pourrait être utilisé dans le traitement
des surdoses, mais qui pourrait aussi être utilisé
dans une approche vaccinale (neutralisation des effets de
la cocaïne).
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Dans
un registre encore plus futuriste, une meilleure connaissance
des circuits et des fonctions des neuromédiateurs
laisse concevoir qu'une stimulation des récepteurs
D1 préfrontaux de la dopamine pourrait aider l'usager
de drogue à prendre la "bonne" décision
(on stimulerait son "libre-arbitre "!).
A
quand les applications dans notre pratique médicale
quotidienne ?
L'intensification de la recherche n'est pas sans arrière
pensée commerciale. Le marché annuel des antidépresseurs
dans le monde représente 10 milliards de dollars
et celui du traitement des diverses formes d'addictions
commence tout juste à se développer. Gageons,
qu'il y aura certainement de nombreuses nouveautés
thérapeutiques à découvrir dans les
années à venir.
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La
part du génétique |
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La
première partie de cette journée a mis en évidence
l'importance des découvertes de ces deux dernières
années dans le domaine de la génétique
des addictions. D'après ces études, la part
d'héritage dans la sensibilité d'un individu
à l'exposition aux drogues - le "terrain génétique"
- varie de 30 à 60 %. Deux types de gènes peuvent
être en cause : des gènes généraux
qui mettent en jeu les systèmes monoaminergiques comme
ceux de la sérotonine ou la dopamine, et des gènes
spécifiques concernant le métabolisme ou le
transport d'une drogue particulière.
Dans le cas de la sérotonine, on connaît des
variations du gène de sa protéine transporteuse.
Deux types se distinguent : l'un dit long et l'autre dit court.
Chez les individus possédant le type court du gène,
on observe une sensibilité plus grande à la
nicotine ainsi qu'une fréquence accrue des troubles
névrotiques et des traits psychopathologiques tels
que dépression, anxiété et impulsivité.
L'autre population, à gène long, sans être
à l'abri des troubles pathologiques et des problèmes
de dépendance, semble mieux protégée.
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On
cherche à établir si une action renforcée
et prolongée de la sérotonine, ne joue pas,
ici, un rôle d'antidépresseur naturel ?
On
voit combien ces éléments d'information, encore
parcellaires et incomplets, sont prometteurs pour l'avenir,
non seulement dans le cas des addictions, mais dans de nombreux
autres domaines pour des applications thérapeutiques
ou préventives.
L'étude du "craving" - besoin impérieux
de reconsommer une drogue, parfois longtemps après
un sevrage - conforte l'hypothèse de la détermination
génétique des conduites addictives. La DAT,
dopa transporteur, par son action de renforcement comportemental
(système de récompense) serait ici impliquée.
Nous découvrons, au travers de ces deux exemples
issus de travaux sur la dépendance tabagique, des
mécanismes généraux qui concernent
probablement tout le champ des addictions et qui nous permettent
de mieux comprendre ces phénomènes.
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Pouvoir addictogène
des drogues et terrain génétique des individus
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"Les
différents modèles théoriques concernant
les addictions sont centrés soit sur les produits (le
pouvoir addictogène d'une drogue), soit sur les individus
(le terrain génétique). Les terrains génétiques
qui exposent à la toxicomanie apparaissent comme la
résultante de facteurs externes et d'une vulnérabilité
inscrite dans le phénotype du sujet. C'est une hypothèse
que l'on cherche à valider à partir d'une modélisation
animale. Ainsi des études prédictives de la
toxicomanie chez le rat de laboratoire, dans un environnement
stable, montrent que les différences individuelles
existent bien, et qu'elles permettent de distinguer des populations
high responder, à fort risque toxicomaniaque, et d'autres
low responder. Chez ces différentes souches animales
on peut aussi mettre en évidence le rôle clé
de certaines périodes du développement, comme
l'adolescence, qui dure quelques semaines chez le rat, où
vont se fixer certains choix électifs et comportementaux
à l'égard d'une drogue.
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Au
total ce sont tout à la fois des facteurs environnementaux
(accès au produit, mode de vie, représentations),
génétiques (héritabilité) et
ontogénétiques (vulnérabilité
à certaines phases du développement) qui se
conjuguent et vont déterminer le risque de passage
vers une forme particulière de dépendance.
Ce en quoi nous restons proches de la définition
de C. Olivenstein de la toxicomanie, comme la rencontre
d'un produit et d'un individu à un moment socioculturel
donné.
Ces connaissances nouvelles dans le domaine de la génétique
viennent compléter et stimuler la recherche dans
les autres secteurs de la clinique et des marqueurs biologiques.
Une
telle approche multidisciplinaire est indispensable pour
améliorer la prise en charge d'usagers confrontés
à un problème de dépendance.
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Crack
et cocaïne |
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Ainsi
en va-t-il pour le problème de la cocaïne, qui
connaît un développement dramatique dans le
monde entier.
L'expérience
des Antilles françaises nous permet de compter sur
quelques uns des meilleurs spécialistes mondiaux
dans ce domaine. Le professeur Aimé Charles-Nicolas
et ses collaborateurs, venus de Fort de France, nous ont
présenté les résultats de leurs travaux.
La cocaïne aux Antilles est surtout fumée, dans
un usage mono toxicomaniaque, et représente 61 %
des motifs de consultation des patients des CSST.
L'approche
clinique met en évidence la dimension compulsive
de ce type d'usage, et les relations entre cocaïnomanie
et TOC (description d'un syndrome compulsif et stéréotypé
de recherche de drogue). Cette approche laisse présager
de nouveaux axes de travail en addictologie.
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Les
marqueurs biologiques de la cocaïne, décelables
dans le sang et la plupart des sécrétions biologiques,
permettent de faire la distinction entre des consommateurs
occasionnels ou réguliers, et de préciser le
mode de consommation. Le métabolite principal de la
cocaïne est la benzoylecgonine. L'anhydro-ecgonine est
un marqueur spécifique chez le fumeur de crack et la
présence d'ecgonine méthylester reflète
un usage chronique; la consommation simultanée de cocaïne
et d'alcool entraîne la formation de coca éthylène
dont l'effet est plus puissant et la toxicité plus
forte (cardiaque et hépatique).
Ces recherches peuvent être effectuées dans les
cheveux (appréciation d'une consommation chronique)
et plus généralement dans les urines. La cocaïne
dont la demie vie ne dépasse pas 90 minutes n'est plus
détectée après 24 heures mais la benzoylecgonine
peut être retrouvée pendant 10 à 14 jours
chez le consommateur chronique. Elle peut rester fixée
plusieurs siècles dans les cheveux (momies égyptiennes).
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Ethique
: dépistages et approches "prédictives" |
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Dans
le cas des opiacés on sait comme pour la cocaïne,
retrouver des marqueurs biologiques reflétant les
aspects qualitatifs et/ou quantitatifs d'une consommation
toxicomaniaque.
Encore
faut-il savoir expliciter clairement ce que l'on recherche.
Il faut savoir ici faire la différence entre opiacés
synthétiques et naturels car 74 spécialités
pharmaceutiques contiennent de la codéine ou de la
codéthyline qui rendent positives les recherches.
La
relativisation des données obtenues par la science
et les nouvelles techniques d'investigation a toujours été
nécessaire : on se souviendra qu'à propos
de l'alcool, on peut recenser jusqu'à un tiers de
faux positifs si l'on se réfère aux seules
GT pour apprécier l'existence d'une dépendance
alcoolique.
Les
marqueurs biologiques des drogues peuvent apporter un intérêt
majeur pour des adaptations thérapeutiques et posologiques.
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Les tests sont aussi une aide à la motivation. Mais
ils n'ont que peu d'intérêt en tant qu'outil
de contrôle car ils mènent alors trop souvent
à des situations d'exclusion.
Une connaissance précise des limites des dosages
biologiques et des informations que l'on peut en attendre
paraît aujourd'hui indispensable.
La
pratique des contrôles s'intensifie dans les secteurs
répressifs ou professionnels. Les chercheurs sont
dès lors confrontées à davantage de
pressions idéologiques et politiques.
L'accueil
des connaissances nouvelles apportées par la génétique
des addictions doit s'accompagner d'une vigilance particulière,
d'un refus des dérives vers des pratiques prédictives
stigmatisantes et d'une volonté de privilégier
le développement des connaissances cliniques et thérapeutiques
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