ADOLESCENCE : LE COLLOQUE DE CLERMONT-FERRAND (2001)
Notes sur les interventions du Pr Jeammet et des Drs Misès,
Epelbaum et Hayez
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Les 5 et 6 octobre 2001 a
eu lieu à Clermont-Ferrand un congrès organisé par
les Cahiers de l'Enfance et de l'Adolescence : "Forum de l'Adolescent,
Famille et Société : modernités de l'Adolescence"
Correspondances, Nov. 2001
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L'addiction
: se mettre à l'abris d'une dépendance envers l'autre |
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Le
Dr Jeammet, Professeur de Psychiatrie de l'Enfant et de l'Adolescent (Paris),
introduit son intervention par le constat pessimiste que l'évolution
sociale favorise la conduite addictive comme mode de gestion de la relation
à l'autre et à soi-même. L'addiction est caractérisée
par la notion impulsion/compulsion et elle dépasse la notion de
produit puisque l'on parle d'addiction à propos des conduites alimentaires
(anorexie : addiction à la privation, boulimie). Elle peut recouvrir
des comportements comme les tentatives de suicides à répétition,
le jeu pathologique, les achats compulsifs...
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L'addiction
serait ce comportement qui nous mettrait à l'abri de la dépendance
envers autrui.
Sa
survenance est favorisée par le processus de séparation/individuation
de l'adolescence, lorsque le travail de séparation s'opère
mal, laissant à vif la blessure narcissique qui survient avec
le développement de la conscience de soi.
Prendre
conscience de soi, c'est aussi découvrir ses limites, il peut
en résulter une honte de soi qui favorise les conduites à
risques.
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Rendre l'autre
dépendant de soi |
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L'enfant
est dépendant de ses parents. Mais cet attachement génère
dans la meilleure hypothèse un sentiment de confiance dans un environnement
que l'enfant découvre avec l'assurance qu'offre le sentiment de
protection parentale ; et cette confiance développe la faculté
d'attendre, de différer la jouissance et finalement crée
une temporalité où peut prendre toute sa place le plaisir
de la pensée.
Lorsqu'un tel processus est mis en défaut l'enfant devient prisonnier
des percepts et reste confronté à l'insatisfaction.
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Il
développe en réaction aux objets de sensations qui le débordent
et l'insécurisent, un comportement d'emprise, qui vise à
rendre l'autre dépendant de soi. L'enfant s'exprime par le caprice
et la plainte corporelle. Avoir des émotions, c'est alors ressentir
sa dépendance envers l'autre, et le Moi de l'enfant carencé
à horreur de cette dépendance. D'où aussi la contrainte
à l'auto-stimulation qui se développe chez lui, qui pourra
prendre la forme d'une conduite addictive à l'adolescence.
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"Leur
vulnérabilité, c'est leur chance" |
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Jeammet
oscille entre pessimisme et optimisme. Pessimisme, car la société,
en ne posant plus d'interdit clair, n'offre plus à l'adolescent
cet espace de "jeu" qu'ouvre la transgression. Aujourd'hui,
on n'énonce plus un ne fais pas, mais un si tu le fais, fais
le bien qui introduit le jeune dans la spirale dénarcissisante
et sans fin du faire de mieux en mieux. L'usage de substances est de
moins en moins transgressif, il devient une sorte de challenge, où
l'enjeu est de contrôler, de gérer des effets des drogues.
Mais, plus optimiste, Jeammet estime qu'une prévention est possible
si l'on se saisit des périodes où le jeune adopte une
position dépressive.
Leur
vulnérabilité, c'est leur chance, dit-il..
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Dans
la dépression, il y a aussi la prise de distance, où la
pensée et les processus d'autonomisation peuvent s'introduire
pour peu que l'on favorise un étayage.
Il
faut se saisir de ce moment pour réaménager l'environnement
du jeune en introduisant du "tiers", par exemple offrir la
possibilité à l'adolescent de faire des choses avec des
adultes qui n'appartiennent pas à son entourage.
Des
activités sportives, par exemple, redeviennent source de plaisir
parce qu'elles se font sous le regard d'adultes qui ont une position
tierce..
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La peur
d endommager l'objet de désir |
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Le
Dr Epelbaum (Praticien hospitalier, psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent;
Fondation Vallée Gentilly (94) reviendra sur le constat de plusieurs
intervenants pour lesquels les pathologies limites ou pathologies du narcissisme
deviennent aujourd'hui dominante parmi les jeunes adressés dans
les consultations psychiatriques. Le Dr Epelbaum rappelle que dans la
psychose le sujet à peur d'un objet de désir qui semble
doué d'un pouvoir d'intrusion, d'englobement qui semble pouvoir
absorber et dissoudre le sujet.
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Dans
la névrose s'exprime la peur de l'objet qui punit, qui répond
au désir par la violence castratrice. Dans les pathologies limites
le sujet oscille entre la peur de l'objet qui l'abandonnerait et la peur
d'endommager lui-même l'objet de désir. C'est la position
de l'adolescent pour qui la présence de la mère est source
d'angoisse par les désirs qu'elle inspire, mais dont les absences
deviennent source de craintes intolérables. C'est le jeune qui
se sent abandonné si on ne le regarde pas, mais qui se sent persécuté
si on le regarde.
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La peur
d'endommager les parents |
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Le
besoin d'étayage reste présent, voire devient omniprésent
à l'adolescence. L'une des difficultés majeures vient de
ce qu'adolescence le jeune et ses parents adoptent des positions dépressives
: symboliquement l'adolescent fait "vieillir" ses parents, il
doit détruire la relation symbolique qui l'unit à ses parents
pour se fixer sur un objet de désir.
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La
peur d'endommager les parents trouve un écho dans les "épidémies
" de phobies scolaires qui se manifestent de plus en plus fréquemment,
qui sont moins une réaction à l'école elle-même,
qu'une manière de l'enfant d'hyper-réagir à une dépression
parentale actuelle : en septembre, le jeune n'a plus que la phobie pour
ne pas "abandonner " un parent fragilisé.
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Les pathologies
limites de l'adolescence |
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Le
Dr Misès (Professeur émérite de psychiatrie de l'enfant
et de l'adolescent - Paris) caractérise les pathologies limites
par un manque de sécurité intérieur et de régulation
de l'estime de soi, où dépression et sentiment d'omnipotence
alternent, dans un contexte où le jeune n'accède pas à
l'autonomie, ne parvient pas à désidéaliser les imagos
parentaux, et où l'entourage refuse la séparation. Plusieurs
facteurs de vulnérabilité favorisent ces pathologies limites
: les défauts d'étayage précoce, la rupture répétitive
des liens, la précarité, la dépression maternelle,
les défaillances éducatives, la satellisation du père
reconnu comme mari de la mère et non dans sa fonction paternelle,
les défaillances dans le travail de séparation et les défaillances
narcissiques.
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L'effort
pour rendre l'autre dépendant, pour le contrôler alterne
avec des conduites d'agir et des phases dépressives.
Le
jeune peut développer un contrôle extrême de lui-même,
au point de se conformer scrupuleusement aux normes, si bien que son
mal-être peut passer inaperçu : c'est l'histoire classique
du jeune "qui ne posait pas problème dans l'établissement"
et qui un jour décompense…
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Evolution
vers la psychopathie |
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Il
y a un danger d'évolution vers la psychopathie : l'affirmation
mégalomaniaque vient dénier la blessure narcissique, elle
oppose un déni à la souffrance vécue ; la maîtrise
extrême dans les rapports aux autres abolit les émotions,
l'engagement affectif, l'empathie, la référence à
la culpabilité et les tendances réparatrices ; l'agir appelle
une jouissance fondée sur la domination. Les dépressions
se traduisent par du désinvestissement, une déréalisation
et une problématique narcissique où l'adolescent ne se reconnaît
plus dans la représentation qu'il a de lui-même.
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Les
dépressions narcissiques sont des dépressions résistantes
qu'il faut traiter dans un cadre multidimensionnel, où le médical
requiert un étayage psychologique, éducatif et social.
On
observe que la décompensation d'allure délirante ou la
dissociation transitoire peuvent être des pronostics favorables,
même si la récidive ne peut être exclue et qu'elle
porte un risque d'entrée dans la schizophrénie.
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Grandeurs
d'Internet |
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Le
Dr Hayez (Professeur de Psychiatrie de l'enfant et de l'adolescent - Bruxelles)
dans une intervention sur le thème de l'usage d'Internet à
l'adolescence reviendra sur cette question de l'évolution vers
la psychopathie. Hayez refuse d'emblée d'être assimilé
aux "grincheux " et il dit tout le bien qu'il pense d'Internet
qui offre aux jeunes distractions, possibilité d'exercer leur créativité,
de satisfaire leur curiosité, de décharger leur agressivité,
d'entrer en relation… Internet offre aux jeunes la possibilité
de satisfaire dans un subtil équilibre leur désir de séparation
et leur désir de rester sous la protection parentale.
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Internet
offre la transgression - le site porno ou le site où l'on vous
explique comment on fabrique une bombe nucléaire - à moins
de deux mètres cinquante d'une maman qui prépare le dîner
et qui interrompra l'entreprise subversive avec un "à table
! ".
Reste
que pour une minorité de jeunes particulièrement perturbés,
il y a lieu de s'inquiéter de leur fréquentation de sites
pervers : sites pédophiles, sites sadomasochistes, sites où
l'on propose des "vidéo amateur " présentant
des scènes de viols collectifs ou des meurtres…
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Misères
d'Internet |
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Chaque
activité "saine" sur Internet à sa "déviance".
Le plaisir de communiquer peut dériver vers des jeux pervers faits
de tromperies sur l'identité et les intentions - certes, la chose
ne date pas du courrier électronique, la perversité et la
tromperie sont au cœur des lettres des personnages des "liaisons
dangereuses " de Cholderos de Laclos. La quête d'information
peut se muer en désir d'acquérir des savoir-faire antisociaux
susceptibles d'être agis. Le goût pour la technologie Internet,
le désir d'acquérir un savoir-faire technique peut devenir
un moyen d'expression d'un sentiment illusoire d'omnipotence. La recherche
d'émotions peut conduire à la recherche de représentations
perverses susceptibles de catalyser des passages à l'acte violents.
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Pour
le Dr Hayez la prévention n'est pas dans ces logiciels qui interdiraient
l'accès à certains sites, car c'est là le genre
de dispositifs qui trouvent toujours le moyen d'être contournés.
La
prévention, c'est de poser qu'un ordinateur relié à
Internet doit être dans un espace commun à la famille.
Parce
que cet ordinateur est ouvert sur le monde -comme l'est aussi la ligne
téléphonique- son usage ne peut être regardé
comme absolument privé.
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