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LE
DOSAGE SANGUIN DE LA METHADONE PAR LA TECHNIQUE FPIA : APPLICATION
AU SUIVI DES PATIENTS EN TSO
C. Boglione-Kerrien, Y. Furet, J. Bachellier, G. Paintaud,
E. Autret-Leca*
Tours (37)
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Le Flyer N°29, sept. 2007
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Résumé |
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De
grandes variations pharmacocinétiques interindividuelles
sont observées avec la méthadone, traitement
de substitution des pharmacodépendances majeures aux
opiacés. Il est donc indispensable d’individualiser
la posologie en fonction des signes cliniques notés
chez le patient, pouvant indiquer a-priori un surdosage ou
un syndrome de sevrage, mais ils manquent de spécificité.
Par ailleurs, une mauvaise réponse au traitement (posant
la question de l’observance) ou l’existence possible
d’interactions médicamenteuses peuvent rendre
nécessaire la réalisation de dosages sanguins
de la méthadone. Le suivi thérapeutique pharmacologique
(STP) de ces patients se fonde sur la détermination
des concentrations sanguines résiduelles de méthadone,
réalisables par chromatographie (CPG ou HPLC) constituant
les méthodes de référence ou bien par
méthode immunochimique, donnant des résultats
plus rapides.Compte tenu des données de la littérature,
il a été choisi de réaliser ce dosage
par polarisation de fluorescence (Technique FPIA) sur un analyseur
automatique de type TDx-FLx.
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Nous avons mis
en évidence l’absence d’"effet matrice"
et réalisé une comparaison avec une technique
de référence, la CPG-SM (chromatographie en
phase gazeuse couplée à la détection
par spectrométrie de masse) à partir de prélèvements
sanguins obtenus chez des sujets traités. D’autre
part, l’étude de la littérature a permis
de fixer la cible thérapeutique à 400 ng/ml.
Des concentrations résiduelles de méthadone
inférieures à 100 ng/ml sont considérées
comme inefficaces, alors que celles supérieures à
1000 ng/ml correspondent souvent à un surdosage.
La zone de linéarité de notre technique d’analyse
se situe entre 50 et 500 ng/ml, ce qui est satisfaisant.
L’étude
de différents cas cliniques en coopération
avec le C.S.S.T. (Centre Spécialisé de Soins
aux Toxicomanes) Port-Bretagne de Tours a montré
que ce dosage permettait d’aider le médecin
clinicien dans l’adaptation posologique du traitement
par la méthadone.
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INTRODUCTION |
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De grandes variations pharmacocinétiques interindividuelles
sont observées avec la méthadone, traitement
substitutif des pharmacodépendances majeures aux opiacés
(1). La détermination des concentrations sanguines
de la méthadone permet de réaliser le Suivi
Thérapeutique Pharmacologique (STP) des patients en
traitement de substitution. Le STP constitue un outil d’aide
à l’adaptation posologique individualisée,
pouvant être utilisé par le clinicien pour des
patients non stabilisés par leur traitement.
Le dosage sanguin de la méthadone peut être réalisé
par des techniques chromatographiques ou immunochimiques.
Nous avons choisi d’utiliser la méthode immunochimique
par polarisation de fluorescence (FPIA) avec l’utilisation
du kit Abbott théoriquement adapté au dosage
urinaire de la méthadone. En effet, trois études
valident ce type de dosage: BECK (2), DESSALLES (3) et KELL
(4).
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Ces
auteurs ont utilisé le kit de réactifs Abbott
et ont réalisé eux-mêmes les calibrateurs
et les contrôles avec du sérum ou plasma blanc.
Différentes fourchettes thérapeutiques ont été
proposées, mais plusieurs travaux ont montré
qu’une concentration cible de 400 ng/ml (5)-(6)-(7)
permet une stabilisation médico-psycho-sociale des
patients. Nous avons retenu cette valeur cible, ainsi qu’une
limite inférieure d’efficacité de 100
ng/mL et une limite supérieure de toxicité de
1000 ng/ml.
Les objectifs de ce travail ont été d’évaluer
les performances de la technique par FPIA pour le dosage sanguin
de la méthadone et de l’appliquer au suivi thérapeutique
des patients. Ainsi, l’absence d’« effet
matrice » a été vérifié
et la technique FPIA a été comparée avec
la chromatographie en phase gazeuse couplée à
la spectrométrie de masse (CPG-SM).
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PATIENTS
ET METHODES |
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Les
patients :
Huit patients mal stabilisés par leur traitement de
substitution par la méthadone, ont été
suivis en collaboration étroite avec le CSST (Centre
Spécialisé de Soins aux Toxicomanes). Dix échantillons
de sang de ces patients ont été utilisés
pour la comparaison des 2 techniques de dosage de la méthadone
sanguine.
Deux tubes secs d’un volume total minimal de 7 ml étaient
demandés pour permettre le dosage sérique par
les 2 types de technique.
Le prélèvement a été effectué
22 à 24 heures après la prise du traitement,
juste avant la prise suivante, pour obtenir une concentration
résiduelle.
Il a été réalisé soit au centre
de prélèvement du CHRU, soit dans le service
d’hospitalisation, soit dans un laboratoire privé
d’analyses biologiques.
Les échantillons
Des étalons ont été réalisés
pour l’étude de l’absence d’effet
matrice. Quatre concentrations ont été testées:
50, 100, 400 et 1000 ng/ml. Ces étalons ont été
préparés à partir de méthadone
pure et de plasma blanc. Le plasma blanc a été
obtenu auprès de l’établissement français
du sang, et la méthadone auprès de la société
Promochem après autorisation de l’AFSSAPS, sous
forme d’ampoules dosées à 1 mg/ml. L’étalon
à 1000 ng/ml a été dilué pour
obtenir des valeurs comprises dans la zone de linéarité.
L’évaluation des performances de la technique
adaptée au dosage sanguin
L’étude analytique a porté sur les 2 points
suivants :
- montrer l’absence d’effet matrice lors de l’utilisation
du kit de dosage Abbott. La précision et l’exactitude
de la technique FPIA ont été évaluées.
- comparer les concentrations sériques obtenues par
cette technique à celles obtenues avec la technique
de référence CPG-SM. Ceci a été
réalisé sur 10 échantillons de patients.
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Les
échantillons ont été congelés
à –20°C, en attente de leur envoi dans la
glace au laboratoire de Pharmacologie–Toxicologie du
CHU de Limoges, où l’analyse par la technique
CPG-SM a été réalisée.
Le matériel: une trousse immunologique Abbott («kit»
de dosage) et l’automate TDx-FLx (Abbott Diagnostic,
12 rue de la Couture, Silic 203, 94518 Rungis cedex, France).
Le dosage requiert un coffret-réactifs permettant de
réaliser environ 100 analyses et comprenant:
- une solution P: solution de prétraitement tamponnée
- une solution S: antisérum anti-méthadone dans
un tampon
- une solution T: traceur de la méthadone marqué
à la fluorescéine
- une solution W: solution de lavage
Le coffret de calibrateurs de matrice urinaire a permis de
réaliser une gamme d’étalonnage en 6 points
(0-150-250-500-1000-4000 ng/ml). La zone d’intérêt
clinique pour le dosage sanguin s’étend de 0
à 1000 ng/ml environ. La zone de linéarité
de la courbe de calibration s’étendant de 50
à 500 ng/ml, il convenait donc d’effectuer une
dilution de l’échantillon pour les valeurs >
500 ng/ml. Ceci a été réalisé
à l’aide du tampon FPIA.
Le contrôle utilisé a été le contrôle
L à 300 ng/ml du coffret de contrôles du laboratoire
Abbott.
L’automate TDx-FLx permet le dosage de nombreux médicaments
par la méthode FPIA en un temps réduit d’environ
15-20 minutes.
La sensibilité retenue a été de 50 ng/ml
après analyse d’études similaires (2)-(3)-(4).
L’analyse a été réalisée
sur 100 µl de sérum ou plasma, après une
étape préalable de centrifugation du tube de
sang (5 minutes à 3500 tr/min).
Le programme adapté au dosage urinaire de la méthadone
a pu être utilisé sans modification, mis à
part la valeur du seuil qui a été fixée
arbitrairement.
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RESULTATS |
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Absence
d’effet matrice
Blanc : la déviation de la lumière polarisée
du blanc dans la matrice urinaire est de 180 et correspond
au zéro de la gamme de calibration; la polarisation
moyenne du blanc dans la matrice plasmatique est de 182,5.
Ces valeurs de polarisation sont sensiblement identiques.
La nature de la matrice n’interfère donc pas.
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Etalons
: la précision et l’exactitude ont été
calculées à partir de 5 déterminations.
Les résultats sont résumés dans le tableau
I. Le coefficient de variation était inférieur
à 6 % ce qui est très satisfaisant (on considère
qu’il doit être inférieur à 15 %
(8)). L’inexactitude était inférieure
à ± 8 %, ce qui est acceptable (elle doit être
inférieure à 15% (8)).
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Comparaison
des techniques FPIA et CPG-SM
Le tableau 2 récapitule les valeurs des concentrations
sériques de méthadone obtenues par les 2 méthodes
sur 10 échantillons de patients.
La fourchette des valeurs obtenues (selon la chromatographie)
s’étendait de 35 à 1494 ng/mL.
L’erreur relative (ER) acceptable doit être de
± 15 %.
Les valeurs grisées sont celles dont l’ER était
supérieure à ± 15 %. Ceci correspond
aux limites de la méthode abordées dans la discussion.
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L’erreur
absolue moyenne sur les 10 échantillons était
de -64 ng/ml (extrêmes:
-319; 17), pour une valeur moyenne de concentration de 576
ng/ml. L’erreur relative moyenne était de –11
%.
Il y a une corrélation entre les techniques FPIA et
CPG-SM. Le coefficient de détermination R2 était
de 0,99.
La relation entre les 2 techniques était linéaire,
selon l’équation y = 0,82x + 38, sur l’étendue
des valeurs 35-1494 ng/ml. Si l’on réduit le
domaine étudié de 35 à 1350 ng/ml, l’équation
de la droite de régression linéaire devient:
y = 0,88x + 24 (R2= 0,99).
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DISCUSSION |
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L’aspect
analytique
Discussion des résultats
Il n’y a pas d’effet matrice : le kit urinaire
commercialisé est donc utilisable pour le dosage dans
une matrice sérique. La technique FPIA est précise
pour le dosage sanguin de la méthadone.
L’exactitude, calculée pour les 10 échantillons
de patients, donne une erreur relative < ± 15 %
pour 7 prélèvements. Les valeurs des 3 autres
prélèvements correspondent aux limites de la
méthode exposées dans le point suivant.
Les 2 méthodes sont bien corrélées (R2
= 0,99). La dispersion des valeurs par rapport à la
droite de régression est faible. Ceci a d’ailleurs
été validé dans d’autres études
(2)-(3)-(4).
Notons que les prélèvements de valeur > 1000
ng/ml ne correspondent pas à la réalité
clinique, et ne sont d’ailleurs pas des concentrations
résiduelles.
Les limites de la méthode FPIA
Deux zones de concentration présentent une inexactitude
importante (supérieure à 15%):
- La zone autour de 50 ng/ml, qui est la valeur limite de
quantification. Deux valeurs de dosage ont été
rapportées comme étant légèrement
> 50 ng/ml pour des valeurs de référence
déterminées par CPG-SM < 50 ng/mL : il y
a donc une légère surestimation autour de cette
valeur, mais cette imprécision est acceptable car l’information
fournie demeure suffisante pour le STP.
- La zone supérieure à 1000 ng/ml est également
source d’inexactitude: dans cette zone, les valeurs
sont sous-estimées de 21 %. A noter que ces valeurs
n’ont pas pu être interprétées cliniquement
car elles ne correspondaient pas à de vraies valeurs
résiduelles. Les concentrations supérieures
à 1000 ng/ml sont normalement très rares car
toxiques. Et on peut considérer qu’au-dessus
de 600-800 ng/ml, une certaine vigilance est requise (survenue
d’effets indésirables).
La fiabilité de la technique par polarisation de fluorescence
dans le dosage sanguin de la méthadone a été
confirmée par l’ensemble des résultats.
Il convient bien entendu de prendre en compte les limites
de cette méthode pour ce type de dosage. Notons également
quelques avantages de la FPIA, communs à d’autres
méthodes immunochimiques.
Les avantages de la technique FPIA
L’obtention des résultats est rapide. Le dosage
est réalisé en 30 minutes environ directement
sur le sérum ou le plasma.
Un faible volume d’échantillon est requis pour
la technique FPIA, évalué à 0,5 ml de
sang (environ 5 ml nécessaires pour la chromatographie).
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L’avantage
n’est pas négligeable dans les cas de patients
difficiles à prélever.
Ainsi, la technique
de micro-prélèvement en capillaire peut être
utilisée avec la technique de dosage par polarisation
de fluorescence.
La facilité
dans la réalisation du dosage est un atout supplémentaire.
Aucune compétence technique spécifique n’est
nécessaire.
L’aspect clinique
Les difficultés pratiques rencontrées
L’établissement de la zone thérapeutique
a été difficile à définir après
l’étude de la littérature car les fourchettes
de concentrations thérapeutiques varient largement
de 100 à 1000 ng/ml. Mais l’analyse bibliographique
a permis de retenir l’objectif d’une concentration-cible
de 400 ng/ml, souligné par certains auteurs (5)-(6)-(7)
et reconnu dans les consensus actuels.
Le prélèvement du sang du patient est un point
très délicat du STP. Il n’a pas été
réalisé directement au CSST: le patient a
donc dû entreprendre une démarche volontaire
pour se faire prélever, ce qui est parfois difficile
à obtenir en pratique. De plus, un volume sanguin
minimal a été requis pour permettre le dosage
selon les 2 techniques. Or, le prélèvement
peut être difficile à réaliser du fait
du mauvais état du réseau veineux du patient
(ex-usager d’héroïne par voie intraveineuse).
Enfin, l’obtention d’une concentration résiduelle
peut être difficile avec des patients suivis en ambulatoire.
Intérêts du dosage sanguin de la méthadone
dans le STP
L’analyse des dossiers des patients en collaboration
avec le CSST et la confrontation clinico-biologique ont
été nécessaires pour l’interprétation
dans le STP des patients.
La détermination des concentrations sériques
de méthadone s’est avérée utile
dans divers cas : lors de la suspicion de sous-dosage, lors
d’interaction médicamenteuse avec un traitement
anti-rétroviral, lors d’un suivi de grossesse,
pour justifier auprès du patient de l’inadéquation
de la dose. Quelques exemples de cas cliniques étudiés
en STP, sont résumés dans le tableau III;
les résultats des dosages sanguins correspondants
sont donnés dans le tableau II.
Dans ces divers exemples le dosage sanguin a permis d’aider
le clinicien à l’adaptation individualisée
de la posologie dans un contexte clinique précis,
et de participer à la stabilisation du patient (9).
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Conclusion |
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Ce
travail a permis la mise en place du STP des patients non
stabilisés par leur traitement de méthadone
en coopération avec le CSST de Tours.
La technique FPIA s’est révélée
précise et exacte pour le dosage sanguin de la méthadone,
et utilisable directement avec l’ensemble du kit commercialisé.
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La
réussite de la prise en charge d’un patient traité
par méthadone passe par la bonne coordination d’une
équipe multidisciplinaire, à laquelle peut s’ajouter
l’aide du pharmacologue.
L’aspect pharmacologique du traitement de substitution
par la méthadone est très important, mais le
soutien psychologique et social au sein d’une structure
est déterminant dans l’amélioration de
la vie du patient.
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Note
sur les auteurs |
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Le
Dr Jérôme BACHELLIER exerce au Centre spécialisé
de soins aux toxicomanes (CSST) Port-Bretagne à Tours
et nous adressé cet article pour publication dans le
Flyer.
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Les
Drs C. Boglione-Kerrien, Y. Furet, G. Paintaud et E. Autret-Leca
exercent au Service de pharmacologie du CHRU de Tours
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Bibliographie |
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1-
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the clinical pharmacokinetics of methadone: implications for
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3- DESSALLES MB, GASDEBLAY S, MAHUZIER G. Détermination
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8- SHAH V, MIDHA K, FINDLAY J, et al. Bioanalytical method
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9- MARQUET P. Suivi thérapeutique pharmacologique:
pour l'adaptation de posologie des médicaments. Edition
Elsevier 2004. Collection Option / Bio. 539 pages.
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