ANALYSE
BIBLIOGRAPHIQUE : UNE ÉTUDE CLINIQUE RANDOMISÉE
POUR ÉVALUER LA MÉTHADONE AUPRÈS DE DÉTENUS
UN MOIS
APRÈS LEUR SORTIE
A randomized clinical trial of methadone maintenance for prisoners
:
Results at 1-month post release
Timothy W. KINLOCK et al., Baltimore, USA
Drug and Alcohol Dependence 91 (2007): 220-227
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Le Flyer N°32, Avril 2008
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Introduction |
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Bien que 12 à
15% des détenus dans les prisons américaines
aient des antécédents de dépendance
à l’héroïne, un traitement de substitution
par la méthadone ne leur est que rarement proposé,
malgré une efficacité qui n’est plus
à démontrer.
La reprise des
conduites addictives, avec les risques qui y sont associés
(infectieux, mortalité par overdose, délinquance,
ré-incarcération…), survient habituellement
dans le mois qui suit la sortie de prison.
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Cette
étude est le premier essai clinique randomisé
effectué aux Etats-Unis portant sur l’efficacité
d’une initiation de méthadone en prison pour
peine. Son objectif est d’évaluer dans quelle
mesure le fait d’initier un traitement par méthadone
en détention avec accompagnement de la continuité
des soins après libération s’avère
plus efficace que d’initier le traitement par méthadone
uniquement après libération ou fournir un simple
soutien psychologique en détention avec orientation
sans accompagnement à la libération.
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MATÉRIEL
ET MÉDHODE |
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Participants : |
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Les participants
ont été recrutés entre septembre 2003
et juin 2005 dans le centre de détention pour hommes
de Baltimore et devaient avoir été incarcérés
depuis au moins 1 an.
Les critères d’inclusion étaient :
- être inclus dans les 3 à 6 mois précédant
la libération,
- présenter les critères DSM-IV de dépendance
à l’héroïne au moment de l’incarcération
et avoir été physiologiquement dépendant
dans l’année précédent l’incarcération,
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- être éligible
à un traitement de substitution par méthadone,
- résider à Baltimore après la sortie
de prison.
Les patients ne
présentant pas les critères de dépendance
à l’héroïne pouvaient être
inclus, s’ils avaient participé à un
programme de traitement des dépendances aux opiacés
dans l’année précédent l’incarcération.
Sur les 253 sujets ayant donné leur consentement
initial, seuls 211 ont été finalement randomisés.
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Design de l’étude : |
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Il
s’agit d’un essai contrôlé avec randomisation
dans 3 groupes équivalents en nombre.
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Une
évaluation était effectuée à l’inclusion
puis 1 mois après libération.
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Prises en charge : |
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Sur
les 211 sujets randomisés :
- 70 ont été affectés au groupe soutien
psychologique (counseling) uniquement (groupe 1) : seuls 50
ont réellement bénéficié d’une
intervention, 18 parmi les 20 autres souhaitant l’initiation
d’un traitement par méthadone, 1 relevant d’un
statut de sécurité plus élevé
incompatible avec l’étude et 1 ayant été
libéré prématurément. Au cours
du suivi, 6 ont été perdus de vue (dont 1 décès)
limitant à 64 les sujets sur lesquels porte l’analyse
finale.
- 70 ont été affectés au groupe soutien
psychologique (counseling) + initiation de la méthadone
après sortie de prison (groupe 2) : seuls 60 ont réellement
bénéficié de la prise en charge prévue
(5 souhaitant un traitement par méthadone avant libération
et 5 ne pouvant le recevoir pour des raisons administratives)
puis 4 ont été perdus de vue au cours du suivi,
limitant à 66 le nombre de sujets sur lesquels l’analyse
finale a porté
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71 ont été affectés au groupe soutien
psychologique (counseling) + initiation de la méthadone
en détention (groupe 3) : seuls 67 ont réellement
bénéficié de la prise en charge prévue
(dont 2 sujets refusant finalement la mise sous méthadone)
et seul 1 patient a été perdu de vue (prononcé
d’une peine de prison supplémentaire).
L’initiation du traitement par la méthadone s’est
faite très progressivement en raison de la disparition
de la tolérance aux opiacés chez les détenus
concernés. La dose initiale était de 10 mg par
jour avec augmentation par paliers de 5 mg tous les 3 jours.
Cependant, les 2 premiers participants s’étant
plaint de sensations vertigineuses les premiers jours, la
posologie initiale retenue a finalement été
de 5 mg par jour avec augmentation par paliers de 5 mg tous
les 8 jours jusqu’à atteindre 60 mg par jour.
Le même protocole d’initiation de la méthadone
a été suivi lorsque celle-ci survenait après
la libération (second groupe).
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Evaluation : |
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Les
patients ont passé l’Addiction Severity Index
à leur inclusion. Un mois après libération,
l’évaluation a consisté en un recueil
des données concernant l’ensemble du
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traitement,
un test urinaire pour les opiacés, la cocaïne
et d’autres drogues illicites ainsi qu’un entretien
sur la consommation d’héroïne, de cocaïne
et l’activité délinquante.
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Critères de jugement : |
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Critère
principal :
Le critère principal de jugement au cours du suivi
était l’existence d’une prise en charge
par un dispositif de soin spécialisé en milieu
libre et le résultat des tests urinaires aux opiacés.
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Les
critères secondaires étaient :
- la prise d’héroïne auto-rapportée,
- la prise de cocaïne auto-rapportée,
- les résultats des tests urinaires pour la cocaïne.
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Hypothèse : |
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L’hypothèse
formulée était que, en termes d’inclusion
dans une prise en charge spécialisée à
la sortie de prison, le bras soutien psychologique (counseling)
+ initiation méthadone pendant l’incarcération
donnerait des résultats supérieurs à
ceux des bras soutien psychologique (counseling) + initiation
méthadone après sortie de prison et soutien
seul.
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De
plus, les résultats sur les divers critères
de jugement dans le bras soutien psychologique (counseling)
+ initiation de méthadone après sortie de prison
devraient être plus favorables que ceux dans le groupe
soutien seul.
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RÉSULTATS |
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Caractéristiques des participants : |
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L’analyse
1 mois après libération a porté sur 200
sujets (totalité des sujets du groupe 3, 66 sur 68
sujets du groupe 2, 64 sur 70 sujets du groupe 1). Leurs caractéristiques
sont présentées tableau 1. La majorité
est d’origine afro-américaine. Ils ont tous déjà
été incarcérés dans le passé.
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Moins
d’un tiers ont déjà bénéficié
auparavant d’un traitement par méthadone. L’ensemble
des participants a présenté une activité
délinquante et un usage d’héroïne
quasiquotidiens en moyenne dans les 30 jours précédant
leur incarcération. Les 3 groupes ne diffèrent
significativement sur aucune des variables présentées
au tableau 1.
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Ci
dessus le Tableau 1
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*
: dans les 30 derniers jours précédant l’actuelle
incarcération
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Critère de jugement principal : |
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Initiation
d’une prise en charge spécialisée à
la sortie de prison : 7,8% dans le groupe 1, 50,0% dans le
groupe 2 et 68.6% dans le groupe.
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Les
différences sont toutes significatives entre elles
à p<0,05. (tableau 2)
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Tests
urinaires aux opiacés : les pourcentages de tests urinaires
positifs aux opiacés sont de 62,9% dans le groupe 1,
41,0% dans le groupe 2 et 27, 6% dans le groupe 3.
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La
différence significative ne se localise que dans la
comparaison du groupe 1 (plus de tests positifs) avec le groupe
3 (tableau 3).
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Critères de jugement secondaires : |
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Tests
urinaires pour la cocaïne : pas de différence
significative, les pourcentages de tests urinaires positifs
étant de 63.9% pour le groupe 1, 48.7% pour le groupe
2 et de 44.8% pour le groupe 3.
Prise d’héroïne auto rapportée :
les pourcentages de patients rapportant un usage d’héroïne
au moins une fois durant le mois suivant leur libération
étaient de 60.3% pour le groupe 1, 39.4% pour le groupe
2 et de 40.0% pour le groupe 3.
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Les
patients du groupe 1 déclarent significativement plus
d’usage d’héroïne que ceux du groupe
3 (p=0.020) et du groupe 2 (p=0.018).
La différence entre groupes 2 et 3 n’est pas
significative. Prise de cocaïne auto rapportée
: pas de différence significative, les pourcentages
de patients rapportant un usage de cocaïne au moins une
fois durant le mois suivant leur libération étaient
de 34.9% pour le groupe 1, 22.7% pour le groupe 2 et de 22.9%
pour le groupe 3.
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Effets indésirables sévères - incidents
: |
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Dix
effets indésirables sévères/incidents
ont été observés :
- 9 hospitalisations (3 dans le groupe 2 et 6 dans le groupe
3)
- 1 overdose aux opiacés dans le groupe 1.
L’imputabilité de la participation à l’étude
n’a été retenue que dans 1 cas (hospitalisation
brève pour constipation d’un patient du groupe
3).
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Les motifs d’hospitalisation
pour les 5 autres patients du groupe 3 sont : troubles cardiaques
(2), pneumonie, sevrage alcoolique, maladie rénale.
Les motifs d’hospitalisation
des 3 patients du groupe 2 sont : hypertension artérielle,
troubles psychiatriques et douleurs dorsales.
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DISCUSSION |
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Cette étude
est le premier essai clinique randomisé aux Etats-Unis
évaluant l’efficacité d’un traitement
de substitution par méthadone chez des détenus
présentant une addiction à l’héroïne
avant incarcération.
Elle montre que le fait d’initier la méthadone
en détention est associé dans le mois qui
suit la libération à un plus grand recours
aux soins spécialisés en milieu « libre
», comparativement à un simple travail de soutien
psychologique ou un travail de soutien associé à
la garantie d’intégrer un programme méthadone
à la sortie de prison.
Ceux bénéficiant d’une initiation du
traitement méthadone en prison intègrent 8
fois plus souvent un dispositif de soins spécialisés
après leur libération que ceux bénéficiant
uniquement d’un soutien psychologique.
Ce constat
revêt une importance particulière dans la mesure
où l’intégration ainsi que le maintien
dans un dispositif de soin spécialisé pour
les patients dépendants à l’héroïne
ont été associés à une réduction
de la consommation d’héroïne et de la
délinquance.
En ce qui concerne
l’usage d’héroïne objectivé
par les tests urinaires aux opiacés, alors qu’il
n’y a pas de différence entre les 2 modalités
d’initiation de la méthadone, ces dernières
sont toutes deux supérieures au soutien seul en prison.
Les patients ayant bénéficié d’un
soutien psychologique uniquement avaient 2 fois plus de
risque d’avoir des tests urinaires positifs aux opiacés
dans le mois suivant leur libération que ceux pour
lesquels le traitement méthadone avait été
initié en détention. Ces résultats
sont également importants car il a été
démontré qu’une fréquence élevée
d’usage de l’héroïne est associée
à une augmentation des comportements délinquants,
un risque plus élevé d’incarcération,
d’infection par le VIH et les virus des hépatites
B ou C et d’overdose.
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En revanche,
il n’est pas surprenant qu’il n’y ait
pas de différence pour l’usage de cocaïne
entre les 3 modalités de prise en charge. La méthadone
a montré son efficacité dans le traitement
de la dépendance aux opiacés beaucoup plus
que dans celui de la dépendance à la cocaïne.
De nombreuses
études ont montré que les usagers de drogues
incarcérés sont à haut risque d’overdose
au cours des 2 semaines suivant leur libération.
Le seul décès dans l’étude concerne
un patient n’ayant bénéficié
que d’un soutien psychologique seul. Un des avantages
d’initier la méthadone en prison et de la maintenir
après libération est de réduire le
risque d’overdose.
Quelques limitations
nécessitent cependant d’être prise en
compte dans l’interprétation des résultats
(effectif uniquement masculin, analyse en intention de traiter,
données manquantes, absence d’aveugle,…).
En conclusion, et malgré quelques limitations et
la brièveté du suivi, cette étude montre
qu’il est faisable et pertinent d’instaurer
des traitements de substitution en détention chez
les patients dépendants à l’héroïne.
Nos résultats mettent en évidence le fait
que ce type de prise en charge peut répondre au besoin
essentiel d’assurer une continuité des soins
entre la prison et le milieu libre, comme l’ont souligné
le Office of National Drug Control Policy en 2001 et l’association
américaine pour le traitement des dépendances
aux opiacés (2001 également). Cette étude
analysera dans un second temps les différences en
termes de rétention en traitement, d’usage
d’héroïne et de cocaïne et d’activité
criminelle après 3, 6 et 12 mois de liberté.
Ces analyses fourniront des informations importantes concernant
l’efficacité des 3 modalités de prise
en charge décrites ainsi que les caractéristiques
des sujets en fonctions de leur évolution, au sein
d’un même groupe et entre groupes.
Dr Laurent
Michel pour le Comite de rédaction.
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Auteurs
de l'étude |
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A
randomized clinical trial of methadone maintenance for prisoners:
Results at 1-month postrelease.
Timothy W. Kinlock (a) (b), Michael S. Gordon (a), Robert
P. Schwartz (a) (c), Kevin O’Grady (d), Terrence T.
Fitzgerald (e) and Monique Wilson (a). Drug and Alcohol Dependence
91
(2007): 220-227.
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(a)
Social Research Center, Friends Research Institute, Baltimore,
MD 21201, USA
(b) Division of Criminology, Criminal Justice, and Social
Policy, University of Baltimore, Baltimore, MD 21201,
USA
(c) Open Society Institute-Baltimore, Baltimore, MD 21201,
USA
(d) Department of Psychology, University of Maryland, College
Park, MD 20742, USA
(e) Man Alive Inc., Baltimore, MD 21218, USA
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