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TRAITEMENTS DE SUBSTITUTION OPIACEE EN SERVICE D'ADDICTOLOGIE,
Interview du Dr Thierry LEDENT - C de Chateau-en-Cambresis
(59)
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Une
expérience de la délivrance hospitalière
de méthadone
avec relais sur les pharmacies de villes
Le Flyer N °13, sept. 2003
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Le
service d'addictologie du CH de Chateau-en-Cambresis |
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FLYER
: Quelle est la date de création de votre service
?
Dr T. LEDENT : A l'origine, en 1996, notre service était
un service d'alcoologie. En 2000, dans le cadre des orientations
voulues par les pouvoirs publics, et notamment les orientations
définies par la M.I.L.D.T., il s'est ouvert aux autres
addictions, à l'exception des troubles alimentaires,
devenant alors un service d'addictologie.
FLYER : Comment votre équipe est-elle constituée
?
Dr T. LEDENT : Notre équipe est pluridisciplinaire.
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Elle
se compose de 5 infirmières dont 4 à temps plein
et une à 80 %, de 6 aide-soignantes dont 4 à
temps plein, une à 80 % et une à 50 %, et de
2 ASH à temps plein. S'y ajoutent 2 médecins
à temps plein. Nous avons à notre disposition
l'assistante sociale des urgences, très impliquée,
bien qu'elle ne soit pas spécifiquement dédiée
au service. De plus, notre secrétaire médicale
assure une partie de l'action sociale.
FLYER : Quelle est la part de l'activité de substitution
opiacée par rapport à votre activité
globale ?
Dr T. LEDENT : La substitution opiacée représente
environ 30 % de notre activité globale. Cette pratique
est principalement ambulatoire.
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Pratique
des traitements de substitution |
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FLYER
: Quel est approximativement dans votre service, le pourcentage
de patients traités par buprénorphine, par méthadone
et en sevrage ?
Dr T. LEDENT : Sur 82 patients au total, nous avons pris en
charge en 2002, 23 patients traités par buprénorphine
(28 %), 33 patients traités par méthadone (40
%). Les 25 derniers patients n'ayant pas encore formulé
de demande précise, ils n'ont pas bénéficié
de médicaments de substitution.
FLYER : Aujourd'hui, pour combien de patients initiez-vous
un traitement par la méthadone (en moyenne par mois)
?
Dr T. LEDENT :Sur les 4 premiers mois de l'année 2003,
nous avons initié 1 traitement par méthadone
en janvier, 4 en février, 2 en mars et 5 en avril.s.
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FLYER
: Quel est le profil type de ces patients (méthadone)
?
Dr T. LEDENT : La moyenne d'âge se situe aux alentours
des 26 ans pour les hommes et de 23 ans pour les femmes.
Ils travaillent pour près de 50 % d'entre eux.
Ces patients sont domiciliés dans le département.
Nous avons la particularité de nous situer au sud
du département du Nord et donc en région frontalière
avec la Belgique. Ainsi, un certain nombre de ces patients
sont déjà utilisateurs de méthadone
belge.
En
s'adressant à nous, ils recherchent un cadre construit
de prise en charge.
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L'orientation
vers le service |
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FLYER
: Comment les patients sont-ils orientés vers votre
service ?
Dr T. LEDENT : La plupart de nos patients s'orientent ou sont
orientés vers notre service pour des raisons de proximité
géographique, et viennent d'une zone se situant dans
un rayon de 10 à 20 km. Les autres structures de prise
en charge dans la région sont éloignées
: le CITD (Centre d'Information et de Traitement des Dépendances)
de Lille est à 80 km, le GREID (Groupe Ecoute Information
Drogues) de Valenciennes est à 40 km et l'USID (Unité
de Soins et d'Information sur les Drogues) de Douai est à
environ une heure de route.
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Par
ailleurs, on peut observer une concentration de patients
dans certaines petites localités, plus élevée
que dans des agglomérations plus importantes, toutes
proportions gardées.
D'après
notre rapport d'activité 2002, les demandes émanant
du patient représentent 23 % de l'origine des prises
en charge (la transmission de l'information se faisant pour
partie par bouche à oreille). L'orientation faite
par un médecin traitant constitue 61,3 % des prises
en charge (19 patients sur 33). Vient ensuite le recours
effectué dans le cadre d'une mesure judiciaire :
12,9 % (4 patients sur 31).
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Les
modalités de prescription : l'orientation vers la ville |
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FLYER
: D'un point de vue pratique, comment la primo-prescription
de méthadone est-elle mise en place dans votre service?
Dr T. LEDENT : Il y a deux visites pour la mise en place
du traitement :
1ère visite : Dans un premier temps et avant toute
prescription, nous réalisons un examen médical
complet. Nous évaluons l'état clinique du
patient et son statut sérologique (VHC, VHB, HIV
notamment). Nous nous penchons sur ses antécédents
médicaux (antécédents psychiatriques,
hospitalisation, grossesse avec ou sans produits, les pathologies
associées, les facteurs de co-morbidité,…)
et ceux de sa fratrie. Nous nous intéressons à
ses caractéristiques socio-démographiques,
notamment son statut familial, son mode d'hébergement,
ses conditions de vie, son activité professionnelle,
ses ressources, etc…
Et
enfin, nous le questionnons sur ses conduites addictives
anciennes et actuelles (nature du ou des produits, mode
de consommation, …).
Il s'y ajoute un bilan sanguin complet ainsi qu'un prélèvement
urinaire.
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2ème
visite :En règle générale, la primo-prescription
a lieu le lendemain de la 1ère visite. La posologie
est comprise entre 20 et 60 mg (1) , adaptée en fonction
de chaque patient donc de son état clinique et des
prises opiacées retrouvées dans les urines,
et selon l'expérience du praticien.
La durée de prescription est courte : 3 jours.
Nous ne délivrons pas de méthadone à
l'hôpital.
Le
traitement est délivré quotidiennement à
l'officine, après appel préalable du pharmacien.
En fonction des officines, la prise du traitement se fait
occasionnellement sur place mais le plus souvent, dans un
lieu autre laissé au libre choix du patient.
La posologie pourra être modulée, à
l'appréciation du pharmacien et après concertation
avec notre service..
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Le
suivi du patient |
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FLYER
: Comment le renouvellement se passe-t-il ?
Dr T. LEDENT : Par la suite, les posologies sont adaptées
en fonction du confort du patient, de son état clinique
et des analyses urinaires régulières. La prescription
se fait rapidement pour une semaine puis peut s'espacer toutes
les deux semaines.
Le traitement est délivré, en fonction du patient,
tous les jours, tous les 3 jours, etc…
Par ailleurs, nous tentons de mettre en place un certain nombre
de règles telles que venir à l'heure et en personne
chercher son traitement.
FLYER : Quels services proposez-vous en appui de la prise
en charge par méthadone ?
Dr T. LEDENT : Nous proposons à chacun des patients
un accompagnement socio-éducatif individualisé
sans toutefois l'imposer. Nous ne le proposons pas d'emblée.
Nous tentons d'inciter le patient à solliciter cette
démarche au fur et à mesure de la construction
de la relation thérapeutique.
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Dès
que le besoin est exprimé, nous contactons les services
sociaux concernés et initions ou continuons un suivi
social.
FLYER
: Quelle est la durée de suivi au service avant le
relais vers un médecin de ville ?
Dr T. LEDENT : La durée est extrêmement variable
d'un praticien à l'autre. Le relais ne se fait en
règle générale pas à moins d'un
an. Cela peut s'expliquer par le manque d'information et
de formation de certains médecins généralistes
de ville, et tout particulièrement pour la méthadone.
Soulignons aussi que certains médecins se montrent
réfractaires pour la prise en charge des usagers
de drogues. Fort heureusement, ceux-ci sont peu nombreux.
Nous avons, toutefois, construit une collaboration entre
l'hôpital, des généralistes de ville,
des pharmaciens et des acteurs sociaux dans notre région.
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Le
suivi médical et biologique |
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FLYER
: Pratiquez-vous des méthadonémies ? Si oui,
dans quel type de situation ?
Dr T. LEDENT : Nous sommes amenés à réaliser
des méthadonémies dès lors que nous avons
un doute par rapport au dosage ou pour une vérification
de la dose thérapeutique.
Ce dosage présente un intérêt particulier
pour le suivi des femmes enceintes et des patients traités
par méthadone à doses élevées.
Les délais d'obtention des résultats sont toutefois
longs car les méthadonémies sont réalisées
dans un laboratoire privé hors de l'hôpital.
FLYER : Décrivez votre pratique des analyses urinaires
Dr T. LEDENT : Lors de la première analyse urinaire
systématique, nous recherchons la cocaïne, les
opiacés, les amphétamines, le cannabis et les
benzodiazépines.
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Ce
contrôle porte aussi sur la méthadone pour
s'assurer qu'un patient ne bénéficie pas de
deux suivis avec prescription simultanée de méthadone.
Nous
pratiquons ensuite des analyses urinaires régulières
indispensables au bon déroulement du suivi. Nous
recherchons la présence d'opiacés, de cocaïne,
d'amphétamines et adaptons les recherches en fonction
des doutes que nous pouvons être amenés à
avoir lors de la consultation.
FLYER : Quelle est la posologie moyenne de méthadone
(et le mini, maxi) ?
Dr T. LEDENT : La posologie moyenne de méthadone
est de 80 mg/jour avec un minimum à 20 mg/jour et
un maximum à 140 mg/jour.
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Bilan |
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FLYER
: Pour vous, quelles sont les situations cliniques où
la méthadone vous paraît la plus indiquée
?
Dr T. LEDENT : Je serais tenté de vous dire toutes.
Nous la prescrivons en 1ère intention. C'est le premier
médicament de substitution que nous utilisons. En effet,
avec ce traitement, le patient s'inscrit dans un cadre établi
avec une démarche thérapeutique claire où
chaque partenaire médico-social est impliqué
pour essayer d'avoir une prise en charge globale.
Par ailleurs, la majorité de nos patients ont déjà
essayé la buprénorphine avec ou sans prescription.
Nous obtenons une amélioration de la qualité
de vie supérieure avec la méthadone *. Nous
n'avons pas rencontré à ce jour de problème
d'intolérance ni de problèmes secondaires aux
prescriptions hautes doses grâce aux méthadonémies
et aux doubles prises chez la femme enceinte.
FLYER : Pour vous, quelles sont les situations cliniques
où la buprénorphine vous paraît la plus
indiquée ?
Dr T. LEDENT : Je parlerais de patients " gentils toxicomanes
". En réalité, nous ne prescrivons pas
ou très peu de buprénorphine en premier traitement.
Les prescriptions établies sont des continuités
ou des ré-ajustements de traitement.
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FLYER
: Quelles sont les situations qui vous paraissent les plus
difficiles à gérer (avec méthadone
ou Subutex®) ?
Dr T. LEDENT : Parmi les situations délicates de
prise en charge, je citerai les demandes de sevrage exprimées
par la femme enceinte et les grossesses chez la femme substituée.
Ces femmes présentent des grossesses à risque
(risque de mort fœtale in utero, risque de rechute
en cours de grossesse, etc…) impliquant une surveillance
particulière du fœtus et de la future mère.
De plus, la toxicomanie de la femme enceinte est rarement
abordée par le gynécologue. Elle peut même
lui être parfois inconnue, la patiente ne l'en informant
pas. Ces femmes sont donc suivies tardivement.
Nous travaillons en collaboration avec le service de gynécologie-obstétrique,
avec le service de pédiatrie pour la prise en charge
des nouveau-nés et avec les maternités.
Nous nous investissons, notamment pour les acteurs du secteur
paramédical, dans des missions d'information et de
formation.
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Perspectives |
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FLYER
: Comment voudriez vous voir se développer les modalités
et l'environnement des traitements de substitution dans
un futur proche ?
Dr T. LEDENT : Il serait intéressant qu'un des axes
soit le développement de nouvelles formes de méthadone
notamment une forme autre que le sirop en bouteille de verre.
Des dosages intermédiaires plus faibles seraient
également intéressants dans le cadre du suivi
pour faciliter la dégressivité des doses.
Pour le Subutex®, l'instauration d'un cadre thérapeutique
plus rigoureux, calqué sur celui de la méthadone,
apparaît pertinent. De surcroît, en pratique,
la durée de prescription à 28 jours s'avère
un peu trop longue.
Au niveau des conditions de prise en charge, en particulier
pour le suivi biologique, il serait intéressant qu'il
y ait une meilleure prise en charge des usagers de drogues
par les mutuelles, certaines n'hésitant pas à
les exclure.
En dernier point et non des moindres, il est important de
réfléchir aux moyens à mettre en œuvre
pour favoriser les équipes de liaisons et pour renforcer
les équipes actuelles.
Interview
réalisé en septembre 2003 par Mlle Tifenn
FAURY pour LE FLYER.
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Notes
:
(1) Les recommandations de l'AMM de la méthadone
en France, ainsi que les Guidelines européens préconisent
une posologie toujours inférieure à 40 mg
lors de l'initiation. Toutefois, nous initions des traitements
chez des patients déjà traités en Belgique,
et pour certains, ils sont déjà habitués
à des posologies de 60 mg et plus.
* NDLR : l'avis du Dr LEDENT sur l'efficacité des
traitements par la méthadone versus celle de la buprénorphine
est évidemment conditionné par la nature de
son recrutement. Notamment, il reçoit dans son service
des patients qui ont déjà été
traités par la buprénorphine comme il le précise,
et en situation d'échec avec ce traitement. Ceux
qui vont bien avec la BHD ne s'adressent pas à lui.
Notons par ailleurs qu'il reçoit des patients traités
par la méthadone en Belgique, et qui eux-aussi s'adressent
à lui pour une meilleure prise en charge. Les centres
de soins et services spécialisés reçoivent
par définition, des patients en 'seconde intention'
dans une majorité de cas. Il s'agit donc d'un biais
de recrutement, situation retrouvée fréquemment
dans le prise en charge des usagers de drogue.
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