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IDENTIFICATION
DE NOUVEAUX GÈNES DE SUSCEPTIBILITÉ
À LA DÉPENDANCE À L'HÉROÏNE
Florence NOBLE, Directeur de recherche au CNRS
Unité de Neuropsychopharmacologie des Addictions, CNRS
UMR7157, INSERM U705. Université Paris Descartes
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Le Flyer N°38, Décembre 2009.
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Héritabilité
de la dépendance aux opioïdes |
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L’addiction
à l’héroïne est une maladie chronique
et récidivante, impliquant sans doute des facteurs
génétiques. L’idée qu’il
y ait « quelque chose de génétique »
dans la susceptibilité à la dépendance
est conforté par les études réalisées
chez l’animal, qui mettent bien en évidence différentes
souches de rats et de souris, présentant une avidité
ou une indifférence pour les drogues.
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Les
études familiales arrivent à la conclusion que
la dépendance aux opioïdes a une héritabilité
estimée entre 40-60%.
Mais donner cette héritabilité ne rend pas compte
de la complexité et de la multiplicité des facteurs
génétiques concernés, et des interactions
encore mal comprises entre des gènes dits de susceptibilité
et l’environnement au sens large.
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Gènes
et dépendance |
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Dès
le début des années 90, la chasse au(x) gène(s)
« responsable(s) de la dépendance » a commencée.
Les premières études se sont portées
sur les gènes des neurotransmetteurs ou enzymes impliqués
dans les mécanismes cérébraux de la dépendance.
Ainsi plusieurs études réalisées chez
des familles « dépendantes à l’héroïne
» ont permis d’identifier différents gènes
pouvant être impliqués. Ces gènes codent
pour les récepteurs opioïdes, dopaminergiques,
GABA, la COMT (enzyme impliqué dans la dégradation
des catécholamines [dopamine, sérotonine]),
et différents neuropeptides, tels les enképhalines
ou encore le BDNF (brain-derived neurotrophic factor). Tous
ces candidats sont connus pour jouer un rôle dans l’établissement
ou le maintien d’un comportement addictif. Néanmoins
la liste des gènes associés à la dépendance
s’allonge tous les jours, ceci d’autant plus que
les
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mécanismes de la dépendance sont encore très
loin d’être établis.
Les polymorphismes au niveau d’un unique nucléotide
(Single Nucleotide Polymorphism : SNP) constituent la plus
importante forme de variation génétique dans
le génome humain. Il existerait environ 10 millions
de ces sites polymorphiques dans notre génome. Les
plus faciles à étudier sont ceux situés
dans les régions codantes du génome. Leur influence
sur la protéine produite au final peutêtre estimée
ou prédite par des études de structure ou des
études fonctionnelles. Cependant la majorité
des SNP sont retrouvés dans des régions non
codantes du génome. Ils sont particulièrement
difficiles à étudier car leur présence
peut avoir un effet plus subtil que l’expression d’une
protéine anormale. Si l’effet existe, il s’agit
souvent d’une modulation de l’expression de la
protéine.
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L'addiction,
une maladie multifactorielle |
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L’addiction
doit être considérée comme une maladie
multifactorielle. De manière générale,
les maladies multifactorielles constituent la majorité
des pathologies humaines et représentent les principales
causes de morbidité et de mortalité (par exemple
le diabète, l’obésité, l’hypertension
artérielle, la schizophrénie, les maladies cardiovasculaires).
Ces maladies impliquent très souvent la présence
simultanée de nombreux allèles de gènes
différents, et ayant chacun un effet limité.
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Chacun
de ces variants génétiques, considéré
isolément, n’est ni indispensable ni suffisant
pour entraîner la maladie.
Au contraire, celle-ci n’apparaît que lorsqu’un
« seuil » de susceptibilité est dépassé
et ce seuil peut être atteint par l’action conjointe
de facteurs génétiques (diverses combinaisons
d’allèles correspondant à plusieurs gènes)
et de facteurs environnementaux.
Les études génétiques d’association
avec un large échantillon où les cas de malades
sont comparés avec des contrôles de la même
population peuvent donner une plus grande chance de détecter
un petit effet.
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Etude
de Levran et collaborateurs : dépendance à l'héroïne |
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Population et Protocole |
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Dans
l’article de Levran et collaborateurs, intitulé
« Genetic susceptibility to heroin addiction : a candidate
gene association study » (Genes, Brain and Behavior
(2008) 7:720-729), une approche par association a été
utilisée, partant de 412 anciens consommateurs d’héroïne
actuellement sous méthadone, et 184 volontaires sains,
tous de type caucasien. Afin d’essayer de donner plus
de puissance à cette étude, les patients ont
été sélectionnés, et seuls les
cas présentant une addiction très forte à
l’héroïne ont été incorporés
(consommation multiple journalière pendant plus d’1
an). Ces patients ont été recrutés aux
Etats-Unis et en Israël. Le génotypage a été
réalisé sur 1350 SNP sélectionnés
dans 130 gènes, connus pour être impliqués
dans les addictions (récepteurs opioïdes, dopaminergiques,
cholinergiques, différents neuropeptides…).
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Une sélection drastique a été réalisée
sur ces 1350 SNP, permettant d’éliminer ceux
qui présentent par exemple des variations trop fortes
chez les contrôles, des variations trop faibles dans
la population sélectionnée, ou un manque de
reproductibilité lors du génotypage. A la suite
de cette sélection, il restait 1083 SNP, qui ont été
étudiés en comparant les patients par rapport
aux contrôles et en recherchant donc une association
entre l’addiction à l’héroïne
et ces SNP. Les valeurs les plus significatives ont été
obtenues pour 9 SNP appartenant à 6 gènes :
les récepteurs opioïdes mu, delta et kappa, la
galanine, le récepteurs 5- HT3B, et la caséine
kinase 1 epsilon. Les variants ainsi mis en évidence
sont tous dans des régions non codantes des gènes.
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Système opioïde et dépendance |
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Dans
la dépendance aux opiacés, le système
opioïde joue un rôle très important, et
les gènes codant pour les récepteurs opioïdes
sont sans doute les premiers candidats pour étudier
les causalités. Un variant dans une région codante
du récepteurs mu opioïde a été très
largement étudié depuis sa caractérisation,
il s’agit du variant 118A>G. Ce variant a été
associé à l’addiction à l’héroïne
et à l’alcoolo-dépendance dans certaines
études,
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mais
pas dans d’autres (cas de l’étude présentée
ici). Souvent ces divergences peuvent s’expliquer par
des différences ethniques entre les populations étudiées,
ou encore par des critères d’inclusions des patients
divergeants. Dans l’étude de Levran et collaborateurs,
deux variants dans les parties non-codantes ont été
identifiés, mais il n’y a encore aucune évidence
que ces SNP soient la cause d’une dépendance
à l’héroïne.
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Variants sur les récepteurs opioïdes |
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Cette
étude met également en évidence des variants
des deux autres récepteurs opioïdes, le récepteur
delta (3 SNP) et le récepteur kappa (1 SNP), qui auraient
un rôle dans la dépendance. De façon intéressante,
les auteurs ont également pu démontrer qu’il
y
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avait
un effet combiné entre 1 SNP du récepteur mu
et 1 SNP du récepteur delta, mettant en évidence
une différence très significative entre les
deux groupes de patients (dépendants ou contrôles)
et la présence conjointe de ces deux variants.
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Autres variants de gènes |
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Des
variants dans 3 autres gènes semblent également
être associés à la dépendance opioïde.
Pour la première fois, les auteurs montrent un lien
entre un variant du gène codant pour un peptide, la
galanine, et la dépendance aux opioïdes. Ce résultat
est tout à fait en accord avec des études précliniques.
En effet, à la fin des années 90, plusieurs
articles ont démontré que la galanine, peptide
de 30 acides aminés largement distribué dans
le système nerveux central et périphérique,
pouvait constituer un facteur de protection contre la mise
en place de l’addiction à la morphine.
Il est également bien établi dans la littérature,
avec des études pré-cliniques et cliniques,
que le système sérotoninergique joue un rôle
important dans les phénomènes de dépendance.
En accord avec l’ensemble des données acquises,
Levran et collaborateurs montrent dans leur article un lien
entre un variant du gène codant pour le récepteur
5-HT3B et l’addiction à l’héroïne.
La variation se situe dans la région régulatrice,
et pourrait donc impacter directement l’expression de
ce gène.
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Le
dernier variant caractérisé se situe dans un
gène qui code pour un enzyme : la caséine kinase
de type 1 epsilon (CSNK1E). Ce résultat est en accord
avec une étude publiée en 2006 (Veenstra- VenderWeele
et al.) qui mettait en évidence un lien entre ce variant
et l’intensité de la sensation d’euphorie
induite par l’amphétamine chez des volontaires
sains. La protéine caséine kinase 1 epsilon
est chez les mammifères l’équivalent de
la protéine doubletime chez la mouche drosophile, et
plusieurs modèles animaux suggèrent un lien
fort entre les rythmes circadiens et le système de
récompense activé par les drogues. CSNK1E intervient
dans plusieurs processus connus pour jouer un rôle dans
les addictions. Elle participe à la phosphorylation
de DARPP-32, qui est une protéine qui joue un rôle
central dans la voie de signalisation dopaminergique impliquée
dans l'addiction aux drogues, ainsi qu’à la régulation
du gène PER1, impliqué dans les rythmes circadiens,
et dont l’expression est liée à l’addiction
(voir par exemple Liu et al. (2005) Neuroscience 130, 383-388).
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Intéret et questionnements sur l'étude de Levran
et coll. |
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L’intérêt
de cette étude publiée par Levran et collaborateurs
réside tout d’abord dans l’extension de
la liste des gènes de susceptibilité et des
variants pouvant jouer un rôle dans l’addiction
aux opiacés. Elle ouvre également de nouvelles
perspectives de recherche dans l’étude des mécanismes
conduisant aux comportements de dépendance. Mais cet
article soulève aussi des interrogations. En effet
si on essaie de faire une revue des données de la littérature
sur les polymorphismes génétiques et la dépendance
aux opiacés, très vite on s’aperçoit
que les résultats peuvent être tout à
fait divergents. L’exemple le plus marquant est celui
obtenu avec un variant du récepteur opioïde mu.
Il s’agit du polymorphisme du nucléotide 118A/G
(Asn40/Asp40), qui enlève
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un site de glycosylation extracellulaire du récepteur,
conduisant à un récepteur qui a 3 fois plus
d’affinité pour les bêta-endorphines, qui
sont des peptides opioïdes endogènes. Sur une
vingtaine d’études réalisées, 4
montrent une prévalence élevée de Asp40
chez les héroïnomanes (ou les consommateurs excessifs
d’alcool), 3 rapportent un effet inverse, et les autres
ne mettent pas de différence en évidence. Ces
divergences peuvent s’expliquer par des populations
hétérogènes entre les différentes
études, ou encore par des critères d’exclusion
ou d’inclusion de patients (et des volontaires sains)
qui peuvent être très différents (dépendance
à un seul produit ou à plusieurs, échelles
utilisées pour définir une dépendance…).
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Conclusion |
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Bien
sûr, le nombre non négligeable de résultats
négatifs concernant l’association d’un
polymorphisme avec un phénotype nous interroge. Néanmoins,
il est très important de garder à l’esprit
que les addictions sont des pathologies multifactorielles.
De nombreux facteurs génétiques sont certainement
impliqués dans ces maladies. Ces facteurs constituent
une combinatoire de plusieurs allèles de susceptibilités
présents dans de
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nombreux
gènes disséminés dans le génome,
qui sont aussi en interaction avec l’environnement au
sens large. Leur association ne constitue qu’un risque
de développer une maladie, c’est pourquoi on
parle le plus souvent d’allèles de susceptibilité.
De façon très intéressante l’étude
de Levran et ses collaborateurs montre pour la première
fois que l’association de différents SNP augmente
très fortement la susceptibilité de développer
une dépendance à l’héroïne.
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Bibliographie |
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Levran, O., Londono, D., O'Hara, K., Nielsen, D. A., Peles,
E., Rotrosen, J., Casadonte, P., Linzy, S., Randesi, M.,
Ott, J., Adelson, M. and Kreek, M. J., 2008. Genetic susceptibility
to heroin addiction: a candidate gene association study.
Genes Brain Behav. 7, 720-729.
- Liu, Y., Wang, Y., Wan, C., Zhou, W., Peng, T., Liu, Y.,
Wang, Z., Li, G., Cornelisson, G. and Halberg, F., 2005.
The role of mPer1 in morphine dependence in mice. Neuroscience.
130, 383-388.
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Veenstra-VanderWeele,
J., Qaadir, A., Palmer, A. A., Cook, E. H., Jr. and de Wit,
H., 2006. Association between the casein kinase 1 epsilon
gene region and subjective response to Damphetamine. Neuropsychopharmacology.
31, 1056-1063
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