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QUEL
ACCOMPAGNEMENT DES VÌCTÌMES DE MARÌAGE
FORCÉ ?
ÌNCERTÌTUDES DES JEUNES FEMMES ET ÌNCERTÌTUDES
DES ÌNSTÌTUTÌONS
Par Christine Jama, Directrice de l'association Voix de Femmes
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Résumé
de la conférence du 3/12/04 à la MJC de Sarcelles,
Créée en 1998, Voix de Femmes est une association
Loi de 1901 qui a pour but d'aider toute personne qui se trouve
confrontée à un mariage forcé. L'association
a deux objectifs : proposer, d'une part, un lieu d'accueil,
d'écoute, d'accompagnement et de soutien pour les victimes.
Et d'autre part, sensibiliser, informer et former à
la prévention de ces pratiques de mariages forcés.
En 2003, nous avons reçu 155 femmes soit une augmentation
de 19% par rapport à l'année 2002. 44,9% étaient
déjà mariées tandis que 56,1% étaient
menacées de l'être. En France 70 000 jeunes femmes
par an sont concernées par ce type de pratique (1).
VOIX DE FEMMES : Tél : 01.30.31.55.76. / 01.30.30.62.74.
Correspondances, Hiver 2004-2005
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Un
mariage forcé est une violence faite à une femme |
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Pour
aborder la question des mariages forcés, on s'est longtemps
enfermé dans le discours du tout juridique. Sans nier
l'importance et l'utilité du droit - étant moi-même
juriste-, je veux souligner les limites de cette approche
et montrer que l'essentiel est question de prévention,
d'accompagnement et de moyens mis en ouvre (structures d'accueil
et d'hébergement, présence d'intervenants sociaux
formés). Les jeunes femmes ont besoin de lieu de paroles
où elles peuvent venir sans être jugées.
Le mariage forcé génère des
violences physiques et morales, des privations de liberté,
des viols répétés, ainsi que des complications
de santé : souffrances psychiques, grossesses
précoces etc. Ne pas tenir compte du consentement d'une
femme, c'est porter atteinte à sa liberté de
choix de son époux, du moment de son mariage et de
sa sexualité.
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Ces
violences et ces souffrances sont parfois occultées,
reléguées aux rangs d'aléas de la vie
privée et familiale ou encore réduites à
un problème culturel et d'intégration.
Les
approches juridiques ou ethnoculturelle ont pour effet d'occulter
la problématique de fond : la nécessité
d'un accompagnement dans un contexte de violence physique
et/ou morale qui va impliquer sinon une rupture familiale,
au moins une prise de distance avec la famille et la nécessité
d'accéder à l'autonomie dans un contexte difficile.
Notons qu'en terme de prise en
charge, la question de la rupture se pose également
dans le contexte d'un mariage forcé déjà
conclu. Vont alors se surajouter les difficultés juridiques
relatives à la dissolution du lien conjugal.
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Les
limites de l'approche juridique |
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"Le
droit n'apporte que des réponses partielles, quand
il n'enferme pas les femmes dans de véritables impasses
juridiques et sociales. Si quasiment l'ensemble des corpus
normatifs internationaux, nationaux et même religieux
(2) considère que le mariage exige le consentement
mutuel des époux, aucun Etat n'a prévu de punir
des personnes qui contraindraient une jeune fille à
se soumettre à un mariage. La seule décision
qu'un tribunal pourra rendre - si la preuve du caractère
forcé du mariage peut être apportée -
c'est l'annulation du mariage. Mais il ne sera jamais question
d'indemniser une jeune-fille pour les violences subies, les
années perdues, les projets d'études abandonnés,
etc. Reste qu'obtenir une annulation est symboliquement fort
et aide à une reconstruction personnelle.Tout comme
l'article 146 du code civil français qui stipule qu'
"il n'y a pas de mariage lorsqu'il n'y a point de consentement",
la quasi-totalité des codes de la famille des pays
d'origine des jeunes femmes exigent le consentement de la
femme dans la conclusion du mariage.
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Une
jeune femme française peut saisir les autorités
françaises pour faire annuler son mariage (TGI, Procureur,
Consulat de France)
Quant
aux jeunes femmes étrangères, si leur mari
réside en France, elles peuvent saisir le juge français
en invoquant le code la famille de leur pays d'origine.
Si
l'on examine les actuels codes de la famille maghrébins,
ils exigent, certes, le consentement des époux dans
les textes, aussi l'annulation peut-elle être espérée.
Mais dans les faits, la jeune femme se heurtera aux ambiguïtés
de droits qui maintiennent encore une inégalité
entre hommes et femmes. En droit algérien, l'institution
du tuteur matrimonial laisse très peu de marge de
liberté à la femme dans l'expression de son
consentement. Si en droit marocain la toute récente
réforme de la Moudawana (Code de la Famille) tente
d'encadrer cette institution du tutorat, la protection du
libre consentement de la mariée demeure insuffisamment
garantie.
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Le
droit musulman et le droit positif du Maghreb |
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Selon
le nouvel article 10 de la Moudawana, "le mariage est
valablement conclu par l'offre exprimée en termes
consacrés ou à l'aide de toute expression
admise par l'usage". L'article 11 précise que
"pour être valable l'offre et l'acceptation doivent
être : si possible faites par écrit, sinon
par tout signe compréhensible". Or lorsque l'on
sait que l'adage de droit musulman selon lequel "qui
ne dit mot consent" est admis par l'usage en matière
de consentement au mariage, on en perçoit d'évidentes
conséquences : le danger est que s'opère une
présomption de consentement de la jeune femme.
L'article
11 du Code de la Famille algérien prévoit
que "la conclusion du mariage pour la femme incombe
à son tuteur matrimonial qui est soit son père,
soit l'un de ses proches parents" ce qui interdit à
la femme d'agir sans l'accord de son tuteur (wali).
Et
si l'article 13 du Code la Famille algérien interdit
expressément au wali de "contraindre au mariage
la personne placée sous sa tutelle de même
qu'il ne peut la marier sans son consentement" il est
à noter qu'il ne prévoit pas de sanction pour
le wali qui, suivant des pratiques coutumières, contraindrait
la jeune fille.
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L'islam
prohibe la pratique du mariage forcé (l'Islam autorise
le divorce, alors à quoi bon contraindre une femme
à un lien qu'elle pourra dissoudre ?). Si pour le Fiqh
(tradition juridique) le mariage est le résultat de
l'échange des consentements mutuels, en droit malékite
(l'une des écoles juridiques), les conditions du consentement
de la femme se résument à l'adage "la fille
vierge consent par son silence et celle qui ne l'est plus
explicitement ". Notons aussi que la femme ne peut consentir
elle-même à son mariage, qu'elle le fait par
l'intermédiaire d'un tuteur matrimonial : le wali.
Notons qu'en droit hanafite, le consentement de la femme vierge
et pubère est non seulement exigé mais suffit
à lui seul pour la conclusion du mariage. Mais selon
cette école juridique, sont considérés
comme signes de consentement implicite : le fait de sourire,
de détourner les yeux, de se couvrir le visage, voir
de pleurer doucement ; les pleurs accompagnés de bruit
et de lamentations ne valent pas consentement… Reste
que la pluralité des écoles juridiques permet
aussi des interprétations plus favorables aux femmes.
Nous avons ainsi reçu Oulaia, âgée de
19 ans, dont l'oncle, religieux vivant en Mauritanie et aîné
du père d'Oulaia, s'est appuyé sur l'islam pour
empêcher son père, par un simple coup de téléphone,
de la marier contre son gré.
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Impasses
juridiques pour les jeunes-filles étrangères |
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Si
le droit apporte peu de réponse satisfaisante, il crée
par contre nombre de difficultés lorsque la jeune-fille
n'a pas la nationalité française. Dès
leur retour en France, certaines pensent que le divorce ou
l'annulation de leur mariage est possible, mais pour saisir
les juridictions françaises, il leur faut invoquer
un "facteur de rattachement" avec la France, tel
la nationalité française, le fait que le mariage
ait été célébré en France,
avoir son domicile conjugal sur le territoire français
ou résider en France depuis au moins une année.
Certaines, mariées dans leur pays d'origine, refusent
d'entamer, à leur retour en France, la procédure
de regroupement familial pour faire venir leur "mari"
: dès lors, leur "domicile conjugal" reste
dans le pays d'origine et elles ne peuvent saisir le juge.
D'autres découvrent que leur carte de résidente
est périmée si elles sont restées trois
ans durant dans leur pays d'origine (3).
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Pour
celles qui saisissent le juge et obtiennent le divorce en
France (ou mieux l'annulation du mariage), ce jugement ne
sera pas forcément reconnu dans leur pays d'origine
même par le biais de la procédure d'exequatur
: "Je suis une femme suspendue tant que mon mari ne m'a
pas répudiée", affirme Bouchera, qui espère
son divorce depuis sept ans. Quant aux femmes mariées
de force à des Français ou des étrangers
vivant en France et qui quittent le domicile conjugal pour
fuir les violences du mari avant le délai légal
de vie commune nécessaire à l'obtention d'une
carte de séjour, leur situation est tout aussi grave.
Dans l'impossibilité de retourner dans leur pays d'origine,
où elles seront traitées comme parias parce
qu'elles ont osé porter plainte pour violence et/ou
demander le divorce, certaines sont condamnées à
rester en France dans la clandestinité.
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Les
limites des mesures de protections |
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Si
la jeune fille est mineure et qu'elle ose demander de l'aide,
le risque de viol, inhérent à la situation
(le mariage forcé induira des relations sexuelles
forcées) interpelle le Parquet et l'ASE (Aide Sociale
à l'Enfance). Le juge, tenu de convoquer les parents,
sera généralement confronté aux dénégations
de ses derniers.
Dans
les faits, seule l'existence de violences antérieures
ou de difficultés familiales importantes motivera
une ordonnance de protection judiciaire assortie d'un placement
provisoire ou d'une assistance éducative. Une protection
administrative telle une mesure d'AEMO (Aide Educative en
Milieu Ouvert) peut également lui être accordée.
Dans les faits, donc, c'est souvent l'existence de problèmes
antérieurs qui permettra la mise en œuvre de
mesures de protection. Or les familles qui s'engagent dans
des pratiques de mariages forcées, ne sont pas toutes,
loin s'en faut, des familles " à problème
" ou mal insérées ! S'agissant de jeunes
filles majeures, l'article 40 du Code de la Famille et de
l'action sociale stipule que l'ASE peut aider les jeunes
majeurs jusqu'à 21 ans.
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Légalement,
rien n'interdit l'attribution d'un contrat jeune majeur en
urgence à un jeune qui n'a jamais fait l'objet d'un
suivi quelconque. Mais, dans la pratique, ces contrats sont
le plus souvent accordés à celles qui ont été
suivies lorsqu'elles étaient mineures. C'est le cas
de certaines des jeunes filles que nous rencontrons. C'est
l'exemple d'Ibtissem suivie de longue date par l'ASE. Elle
a subi des attouchements sexuels pendant son enfance et sa
mère subi la violence conjugale. Alternant conduites
de rupture et dévotion (influencée par des sœurs
salafistes elle portera le voile et sera exclue de l'école)
la perspective d'un mariage forcé se dessine peu à
peu pour cette jeune-fille considérée comme
"impure" et sans projet. Le projet de mariage forcé
va amplifier les conduites à risques : Ibtissem se
scarifie, ses parents l'hospitalisent en psychiatrie, elle
fugue, elle fait de mauvaises rencontres, subit d'autres attouchements
sexuels, puis un viol sur un lieu de travail. L'existence
d'un projet de mariage forcé n'est finalement qu'un
des éléments qui conduira à l'élaboration
du contrat jeune majeur et d'un projet d'hébergement
en famille d'accueil.
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Difficultés
des jeunes-filles à réagir |
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Dans
les faits, plus des trois quarts des jeunes filles victimes
de mariages forcés qui font appel aux travailleurs
sociaux sont âgées de dix-huit à vingt
ans. La plupart ont attendu leur majorité pour en parler
et elles n'ont généralement pas fait l'objet
de suivi socio-éducatif antérieur. Si elles
tardent à demander de l'aide, c'est principalement
pour deux raisons. Elles sont très souvent précocement
conditionnées par leur entourage familial à
l'idée qu'elles doivent "accepter le mariage".
D'autre part elle culpabilisent à cause des conséquences
éventuelles de leur refus. Il est très fréquent
de les entendre dire "j'avais peur qu'on mette mes parents
en prison". L'anxiété est énorme
lorsqu'elles ont le sentiment que leur mère et/ou la
fratrie subiront des rétorsions (répudiation
de la mère, projet de mariage reporté sur une
sœur).La réaction des jeunes filles confrontées
au mariage forcé varie sans doute selon leur âge,
leurs dispositions psychologiques, de leurs repères
identitaires, religieux, culturels, de l'importance du conditionnement
familial.
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Certaines
jeunes filles vont réagir et être pleinement
actives pour éviter le mariage et vont effectivement
se battre pour leur liberté. D'autres seront complètement
paralysées, dépressives. Elles n'envisagent
même pas d'être dans leur droit ou même
de pouvoir se défendre. Ces dernières se résignent
ou réagissent par la plainte, la somatisation, le
passage à l'acte : fugue, anorexie, rupture scolaire,
suicide…
Les
victimes de mariage forcés sont souvent obligées
de rompre avec leur famille et d'abandonner étude
et travail. C'est bien d'une aide sociale et financière
dont elles ont concrètement besoin et ce, parfois,
dans l'urgence. On imagine leur extrême désarroi
lorsque aucun soutien ne leur est accordé sous prétexte
qu'elles n'ont ni traces de coups, ni antécédents
sociaux…Mais la jeune fille confrontée à
la contrainte matrimoniale, même la plus déterminée,
a absolument besoin d'exprimer ses doutes et ses souffrances.
Malgré les pressions subies elles veulent préserver
un lien avec leur famille.
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Pour
une écoute qui accompagne la jeune fille dans son parcours
d'autonomie |
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L'écoute
est essentielle pour construire un projet et surtout pour
que celle-ci l'assume et le porte.
Certaines
jeunes filles vont mobiliser tout un panel de professionnels
pour organiser leur fuite puis, au dernier moment, alors
que tout est mis en place en terme d'aide sociale et d'hébergement,
elles refuseront toute aide.
Telle
Nabila, très soutenue par une collègue dans
ses démarches pour obtenir un FAJ (Fond d'aide aux
Jeunes) et une structure hébergement sur Paris. Nabila
se rendra sur la structure mais, finalement, refusera d'y
rester préférant se rendre chez une cousine
qui a, elle aussi, refusé un mariage forcé.
Le travail d'accompagnement ne consiste pas à faire
à la place de la personne, mais de l'aider à
réaliser son parcours d'autonomie. La psychologue
de la structure d'hébergement qui a rencontré
Nabila précise :
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"On
lui a mis la pression pour qu'elle parte. Beaucoup de gens
ont été mouillés, surtout ses collègues
qui l'ont tellement entourée qu'elle s'est sentie mal.
On lui a pris une grande part de ce qui lui appartenait, même
ses angoisses on les lui a enlevées. Elle est arrivée
sur le centre d'hébergement avec les billes en main.
Au dernier moment elle a finalement trouvé un emploi
et elle a préféré partir chez une cousine
éloignée qui avait refusé un mariage
forcé. Elle a trouvé la force de rappeler ses
parents. Elle s'est rendue compte qu'une partie de sa famille
la soutenait pour qu'elle puisse travailler. Même si
ce travail n'est qu'un empêchement provisoire au mariage,
il lui reste du temps pour continuer à négocier.
Elle avait du mal à partir, maintenant elle sait qu'elle
peut faire parce que, ce qu'elle a commencé à
faire, elle l'a fait toute seule. Ce qui est important c'est
de ne pas faire à la place de l'autre"
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Médiation
interculturelle : intérêt et limites |
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Certaines
n'ont parfois jamais osé parler avec leur père,
d'autres n'ont pas imaginé qu'elles pouvaient trouver
un allié, au sein même de leur famille, un
médiateur intrafamilial qui puisse clairement faire
entendre leur refus de ce mariage à leur père
Par exemple, Zeinebou trouva dans sa grand-mère une
alliée inespérée: "Cet été
je suis descendue au Mali, tout s'est arrangé, c'est
grâce à ma grand-mère, elle m'a dit
"ma fille parle-leur, tu va les convaincre en disant
la vérité", Je suis réconcilié
avec ma mère, elle a peur de sa propre mère
! J'ai protégé ma petite sœur du mariage
forcé !)".
La
médiation interculturelle peut être précieuse.
L'association Voix de femmes a reçu Fenda, dix-sept
ans, mariée coutumièrement depuis un an, souhaitant
un placement en foyer. Cette jeune femme craint le passage
devant le juge des enfants qui a été saisi
par l'assistante sociale de son établissement scolaire.
Le juge, apprenant qu'une dot - symbolique - a été
versée au père, explique à ce dernier
que "ce mariage est de la prostitution déguisée,
et qu'il doit respecter les lois de la France puisque après
tout la sécurité sociale le soigne quand il
est malade". Un travail d'écoute implique de
se centrer sur l'histoire des individus et de ne pas plaquer
ses représentations. L'intervention, lors de l'audience,
de la médiatrice interculturelle de l'AFAVO-Association
des femmes africaines du Val d'Oise, a permis de sortir
d'une confrontation.
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Grâce
à la médiatrice le père a pu raconter
dans sa langue maternelle les pressions communautaires qu'il
subissait. Il s'est déclaré très satisfait
de l'intervention de la justice qui rendait impraticable
un projet de mariage qu'il n'approuvait pas et a quitté
la salle en embrassant l'assistante sociale scolaire...
La
médiation peut jouer un rôle important dans
la mesure où elle va permettre une prise de distance
avec des représentations négatives et conflictuelles
de chacun ("vous vendez votre fille", dit le juge
; "vous voulez me prendre mon enfant" dit le père).Encore
faut-il que le médiateur ait pris des distances avec
les représentations de sa propre communauté
et considère que le mariage forcé revêt
bien un caractère coercitif. Certains médiateurs,
de peur d'être accusés d'européocentrisme,
préfèrent parler de mariage "traditionnel",
"arrangé" ou "compromis". Ces
qualificatifs n'ont d'autres fonctions que de dénier
la réalité d'une contrainte morale, de violences
physiques et sexuelles subies par les femmes. Ces violences
sont diluées dans la question du conflit de droit
ou de culture, et l'on passe aisément du relativisme
culturel à un racisme ou un sexisme plus que latent.
"C'est des coutumes de chez eux, je ne vois pas ce
qu'on peut faire, ça se passe comme ça avec
leurs femmes au Maroc" précise un gendarme,
qui refuse d'intervenir pour sortir une jeune femme victime
d'une séquestration. C'est finalement le consulat
du Maroc qui interviendra efficacement pour la protéger.
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Ecouter
c'est travailler sur ses propres représentations |
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Dans
le registre des représentations, il n'est pas rare
non plus d'entendre : "Vu la misère dans les quartiers
et vu qu'un mariage sur deux finit en divorce chez les Français,
les jeunes femmes issues de l'immigration préfèrent
accepter ce type d'union." C'est oublier que le changement
du statut des femmes issues de l'immigration ne débute
pas forcément dans le pays d'accueil, et que des luttes
pour une émancipation ont été amorcées
dans les pays d'origine. D'autre part, le contexte de l'immigration
produit parfois des "retours à la tradition"
qui font que certaines familles sont plus rigoristes ici qu'elles
ne le seraient dans le pays d'origine.
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Les
jeunes filles doutent aussi de l'aide que les professionnels
pourraient leur apporter car, elles ont le sentiment, à
juste titre parfois, qu'ils ne peuvent pas comprendre, que
donc cela ne sert à rien de les contacter. Mais c'est
évidemment la peur de n'être pas crues, d'être
suspectées de "fantasmer" et le déni
possible de la violence qu'elles subissent qui les fera le
plus certainement reculer. Certains intervenants vont se réfugier
derrière l'ambivalence de la jeune femme ou l'alibi
culturel : "ça se passe comme cela chez ces gens-là"
"qu'est-ce-que je peux comprendre ou juger d'une culture
différente" pour ne pas appliquer une loi de protection.
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Ambiguïtés
des pouvoirs publics |
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Les
pouvoirs publics semblent plus soucieux de prévenir
l'éventuelle utilisation du mariage (forcé
ou non) en vu de faciliter l'immigration, que de protéger
les jeunes-filles de la violence du mariage forcé.
Il
semble plus simple d'obtenir l'annulation d'un mariage en
raison de "l'absence d'intention matrimoniale"
d'un "mari" en quête d'une carte de résident
que d'obtenir une annulation en raison du "défaut
de consentement" d'une "épouse" forcée
?
Il
y a un vrai risque de voir le mariage forcé davantage
analysé sous l'angle du détournement des lois
sur l'entrée des étrangers en France que sous
l'angle de la promotion de l'intégration, du droits
des femmes et de la protection des victimes.
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Les
moyens mis en œuvre pour aider les jeunes-filles manquent
cruellement., en particulier en terme de structures d'hébergement
adaptées. Des jeunes filles se retrouvent parfois dans
des foyers ou hôtels sociaux, mêlées à
des personnes en très grande difficulté, parfois
violentes. Il est urgent d'ouvrir plus de structures d'hébergement
et d'accueil conçues pour les jeunes femmes victimes
de violences intrafamiliales et de pratiques dites "culturelles".
Il est temps de passer de la réprobation morale et
des déclarations d'intention, à des actions
concrètes de soutien aux victimes. L'augmentation des
moyens en terme d'accompagnement est impérative. Les
femmes victimes de mariages forcés ont besoin de structures
d'hébergement, ainsi que de lieux d'écoute et
de parole.
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Développer
la formation des acteurs de terrain et le travail en réseau |
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Il
est également important de multiplier les actions de
formation en direction des travailleurs sociaux. Un constat
s'impose en effet : c'est souvent auprès de l'assistante
sociale scolaire et de l'infirmière scolaire, d'un
éducateur de prévention, d'un conseiller en
Mission locale, d'un psychologue en Point Ecoute ou Point
Santé Jeunes ou encore d'une juriste en CIDFF-Centre
d'information sur les Droits des Femmes et des Familles que
ces situations de mariages forcés sont révélées.
Sans oublier les associations de femmes issues de l'immigration
(le GAMS-Groupe d'action contre les Mutilations sexuelles,
Elélé Migrations et Cultures de Turquie, etc…)
et les conseillères du MFPF-Mouvement Français
pour le Planning Familial qui furent les premières
à dénoncer les pratiques de mariages forcés.
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Etant
donné la multiplicité et la variété
des travailleurs sociaux que la jeune fille est amenée
à saisir ou à rencontrer, l'accompagnement requiert
une approche transversale, et la construction d'un travail
en réseau s'impose. L'ASE doit y jouer un rôle
primordial puisque le mariage se prépare au cours de
la minorité et se "concrétise" avant
les 21 ans. Vus les risques de déscolarisation, de
désocialisation, de souffrances psychiques et de violences,
il est également urgent de développer les actions
de sensibilisation, surtout dans l'enceinte scolaire, qui
est le premier lieu où les victimes de mariages forcés
peuvent s'exprimer. L'institution scolaire, qui est aussi
le seul lieu où la mixité n'est pas encore tout
à fait battue en brèche, est aussi un espace
de sensibilisation des garçons et de transformation
des représentations.
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Notes |
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(1)
Isabelle Gillette-Faye, Estimation du nombre d'adolescentes
mineures et jeunes majeures menacées ou mariées
de force, publications du Gams (Groupe femmes pour l'abolition
des mutilations sexuelles), Paris, 24 janvier 2002.
(2) L'article 16 de la Déclaration Universelle des
droits de l'homme de 1948 énonce que " le mariage
ne peut être conclu qu'avec le libre et plein consentement
des futurs époux ". Plus récemment, la
déclaration de Bamako du 29 mars 2001 des ministres
africains francophones pour la protection de l'enfance stipule
:
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"Le
consentement des futurs époux doit être manifesté
librement. Dans le cas contraire, le mariage est nul et
tout acte sexuel sera considéré comme violence
sexuelle."
(3)
L'article 18 de l'Ordonnance du 22 novembre 1945 sur le
statut des étrangers en France stipule : "La
carte de résidence d'un étranger qui aura
quitté le territoire pendant une période de
plus de trois années consécutives est périmée."
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