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SOUFFRANCE
PSYCHIQUE ET ACCOMPAGNEMENT DES PARENTS
par Mme GUENET TEFFERA, PSYCHOLOGUE
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Résumé
par E. Meunier de la conférence de Mme Guenet Teffera, psychologue,
du 8 septembre 2003 au Centre Hospitalier de Gonesse. L'intervention
de Mme Guenet Teffera, psychologue à l'Aide Sociale à l'Enfance
et à l'AMICA (Point Accueil Ecoute des jeunes à Clichy-sous-Bois,
93) à été centrée sur l'intérêt
d'un recours à des médiateurs, ethnopsychiatre de formation,
dans le cadre de prise en charge psychologique et sociale de jeunes issus
de la migration. L'intérêt de telle intervention ponctuelle
est d'étayer le travail des professionnels et de faciliter un dialogue
constructif avec la famille.
Correspondances, Hiver 2004-2005
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Établir
un dialogue dans un contexte de maltraitance |
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La
pertinence de cet outil a été illustrée par deux
cas cliniques, le premier rencontré dans le cadre d'une prise en
charge par l'ASE, le second à l'AMICA. Le premier concerne Xavier,
un jeune congolais. Né d'un premier lit, il est précocement
élevé par ses grand-parents, puis il rejoint sa mère
à six ans, qui déjà installée en France, remariée
et mère d'un nouvel enfant, Monique. La mère décède
peut de temps après son arrivée et son époux se retrouve
seul pour élevé sa fille et Xavier son beau-fils. A quatorze
ans, Xavier entre dans une phase de rupture, se traduisant par des difficultés
scolaires, de l'absentéisme, des accès de violence, du repli
sur soi et des fugues. Il devient un objet d'inquiétudes pour ses
enseignants et l'équipe médico-sociale au point qu'une mesure
d'internat va être préconisée.
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L'adolescent
se plaint des relations conflictuelles qu'il entretient avec son beau-père
et de l'emprise intolérable que celui-ci exerce sur lui, notamment
par ses pressions parfois brutales pour qu'il pratique rigoureusement
l'Islam. Exigence d'autant plus incompréhensible que Xavier est,
comme sa mère, de confession catholique.
Les
premières rencontres avec le beau-père sont orageuses,
celui-ci suspectant les services sociaux de vouloir le déposséder
de son autorité parentale. Lorsqu'un début de confiance
a pu s'établir entre le beau-père et les professionnels,
il lui a été proposé une médiation ethno-clinique
avec une médiatrice parlant la même langue que lui. Cette
médiation se fera sur quatre séances, réunissant
à chaque fois Xavier, le beau-père et tous les professionnels
concernés.
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Théorie
d'un beau-père sur les souffrances de son beau-fils |
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Le
beau-père raconte le brusque décès de son épouse,
et comment, dans les jours qui suivirent, il confia ses enfants à
des proches parents. Tenus à l'écart du drame, les enfants
n'assistèrent pas aux cérémonies d'adieu qui précédèrent
le rapatriement du corps au Congo.
Le
beau-père raconte ensuite les rêves de Xavier. Ces cauchemars
ont éveillé des craintes chez le beau-père : "
Il rêve souvent de sa mère qui l'invite à partager
des repas avec des personnes qui l'accompagnent. Or manger avec des
morts c'est faire partie de sorciers anthropophages ". Les morts
exigent en effet des contreparties pour leurs invitations à un
repas, et ce qui sera " rendu " par Xavier, ne le sera qu'au
détriment des vivants.
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Le
beau-père raconte avoir lui-même été victime
d'une attaque de sorcellerie peu après le décès de
son propre père. Mais grâce à un sage et à
sa conversion à l'Islam, il a pu se sauver. Décidé
à appliquer le même remède à son beau-fils
il l'oblige donc à une pratique rigoureuse de l'Islam. Les médiations
suivantes feront apparaître à quel point le beau-père
a investi sa relation avec son beau-fils. La mère de Xavier appartenait
à l'ethnie Bakongo, de tradition matrilinéaire, aussi eut-il
été convenable que les enfants soient confiés, après
sa mort, à un oncle maternel. Le beau-père a entrepris toutes
les démarches coutumières pour négocier auprès
de la famille maternelle la garde des deux enfants, puis les démarches
légales pour obtenir l'exercice de l'autorité parentale
sur Xavier.
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Aider les
parents dans leur fonction éducative |
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Ces
médiations ont permis la mise en œuvre d'une AEMO administrative
et d'éviter une mesure de placement. Le beau-père a accompagné
les deux enfants sur la tombe de leur mère et Xavier a pu rencontrer
son père et le reste de sa famille. Xavier est suivi par une psychologue
du CMP et son comportement est complètement transformé.
S'appuyer sur les représentations culturelles de la famille et
les concilier avec nos propres représentations peut aider à
un soutien efficace de la famille. Une situation de grande souffrance
d'un jeune qui semblait en première analyse se comprendre comme
une banale maltraitance d'un enfant par son beau-père, sur fond
d'intégrisme religieux, se révèle en fait plus complexe
: on découvre un beau-père qui est bien loin d'avoir désinvesti
la fonction paternelle.
Le beau-père a construit une théorie sur les problèmes
de son beau-fils (à partir des récits de cauchemars de celui-ci)
et il propose une solution à ces problèmes (la pratique
rigoureuse de l'Islam comme parade à la sorcellerie).
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Sans
doute le beau-père s'arrimait-il à sa propre expérience
et percevait-il Xavier comme potentiellement dangereux.
L'emprise
intolérable qu'il exerçait sur l'adolescent n'est pas
sans rapport avec le motif de l'anthropophagie, l'"autre"
une fois manger devenant "identique" à celui qui le
mange. Le rétablissement du dialogue a permis au beau-père
de réinvestir un rôle éducatif, le beau-père
reconnaissant le beau-fils dans sa différence en recréant
le lien avec la lignée maternelle grâce au voyage au Congo.
Poser
la loi, c'est introduire le tiers ; ce n'est pas une fin en soi, et
c'est bien ce en quoi l'autorité se différencie de l'autoritarisme.
Retrouvant son rôle éducatif il peut abandonner une position
purement répressive vis-à-vis des "dangers"
surnaturels liés aux rêves de Xavier, sans craindre de
perdre sa position "paternelle" vis-à-vis de l'enfant.
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Aider la
famille à formuler que leur enfant est en danger |
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Le
second cas à été rencontré par l'association
AMICA et concerne une adolescente de quatorze ans, ainsi que son jeune
frère de onze ans, derniers enfants d'une fratrie de six. L'adolescente
est en relation très conflictuelle avec ses parents ; elle est
en rupture scolaire, elle fugue, elle consomme des substances psychoactives,
elle est parfois violente et présente des tendance à la
mythomanie. Son jeune frère présente, outre des difficultés
scolaire, des troubles du comportement et des tendances à la pyromanie.
L'adolescente mobilise les travailleurs sociaux en se déclarant
victime de maltraitance, ce qui ne surprend pas, car la famille est connue,
et elle a déjà mis en échec plusieurs mesures de
soutien et de protection. Le père, âgé de cinquante
ans, est sans emploi et sans papiers. Il a subi deux incarcérations,
la seconde pour violence sur son fils. La mère, quarante cinq ans,
est dépressive, à la fois surprotectrice et négligeante
avec ses enfants. La première séance de médiation
va permettre à l'adolescente de revenir sur ses déclarations
et d'avouer une situation qui n'est pas moins supportable : dans la maison,
c'est elle qui fait la loi et qui violente sa mère. Le père,
sans autorité, déqualifié, semble avoir abandonné
la fonction paternelle.
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Les
parents se saisissent aussi de cette séance pour évoquer
les difficultés de leur parcours de migration.
Mais
c'est au cours de la seconde séance, en présence de la
mère et du fils, que la question de la rupture avec le pays d'origine
va être posée. La mère va dire de son fils qu'il
est " suspendu ", " pas fixé " et que c'est
pour ce motif que les enfants échappent à l'autorité
parentale. Pour expliquer ce fait, elle raconte qu'avec son époux,
elle s'était rendu en pèlerinage sur le tombeau d'un saint
vénéré par sa famille pour le prier qu'il leur
donne un fils. Mais une fois l'enfant né, les parents n'ont pu,
faute de moyens, revenir sur le tombeau et y apporter des offrandes
de remerciements. Reformuler dans ces termes sacrés, la mère
parvient à convenir que son fils est effectivement en danger
et elle accepte l'idée que des mesures de protections puissent
être mise en place. La reformulation dans le registre du sacré
permet aussi de nommer le problème familial : dans cette famille,
où une adolescente bouillonnante fait la loi, les membres de
la famille ne sont pas à leur place, ils sont, comme dit la mère
"suspendus", "pas fixés".
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Associer
les parents à la définition des mesures de protection |
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La
troisième séance se tient en présence du père
et de la mère. Le père a entrepris des démarches
pour une régularisation de sa situation. Il revendique sa place
de père, se dit en colère contre les excès de sa
fille et demande une mesure de placement car elle vient de faire une nouvelle
fugue et des actes délictueux. Les médiations ont permis
par une reformulation en terme sacré (le manquement aux obligations
vis-à-vis du saint) d'installer un dialogue sur les ruptures vécues
dans et par la famille. Concrètement, le père et la fille
finiront par formuler une demande de placement auprès du juge des
enfants, le père réinvestira sa fonction paternelle et trouvera
un emploi, la mère se rendra en pèlerinage sur le tombeau
du saint. L'intérêt d'une médiation est d'aider les
parents à se réapproprier leur rôle éducatif
et d'aider les enfants à mieux s'inscrire dans leur filiation.
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L'espace
de dialogue créé permet, d'une part, aux intervenants de
mieux comprendre le vécu des parents. D'autre part, les parents
comprennent alors autrement les inquiétudes formulés par
les professionnels, initialement perçues comme l'expression d'une
volonté de les déposséder de leur rôle parental.
Un travail commun parents-professionnels peut alors se mettre en place
dans l'intérêt des enfants. La médiation est un outil,
et nullement une panacée. Son intérêt est aussi de
nous aider à poser la question des moyens mis en œuvre pour
travailler avec les parents et non contre eux au nom de la protection
de l'enfant. Elle pose le problème de la forte tendance du professionnel
à s'identifier à l'enfant et à sa souffrance, ce
qui limite sa capacité à entendre la souffrance de l'adulte.
Question qui renvoie à une problématique plus large que
celle de l'aide aux familles migrantes.
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